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« Le Charme de l’émeute » de Thomas Chopin

L’ému de l’émeute

La manif, le soulèvement ou la révolte relèvent des thèmes récurrents de la danse (Insurrection d’Odile Duboc, 1989). Mais si les artistes africains, par exemple, en font une lecture politique, Thomas Chopin la lit comme l’émotion collective d’une aventure esthétique. La politique y reprendra cependant ses droits, même au prix de la désillusion. 

La manifestation, voire l’émeute, constitue une figure sinon fréquente du moins bien repérée du corpus chorégraphique, la masse qui marche y exprime une vue de la dévastation, chez Graham dans Steps in the Street (1936) ou bien, métaphorique et abstraite, quelque chose de l’annihilation de l’individu par la masse dans le Joe (1984) de Jean-Pierre Perrault. La figure de l’émeute devient même centrale dans la danse tunisienne qui a suivi les évènements de 2010, ainsi dans Sacré Printemps (2015) d’Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou ou dans les pièces récentes d’Imed Jemaa. 

Avec le chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly, dans Nuit Blanche à Ouagadougou (2014), l’émeute et l’insurrection deviennent à la fois l’expression d’un rêve politique et un témoignage de la rébellion. 

La singularité de l’approche du Charme de l’émeute, la nouvelle pièce de Thomas Chopin, tient dans sa vision quasi apolitique. On ne sait rien des motivations de son groupe, aucun des danseurs n’arbore de pancartes, personne ne crie de slogan. Cette émeute se résume en une épure stylisée, mais, comme le répond Romain Huët à propos de son livre Le Vertige de l’émeute (PUF, 2019), « Il y a dans l'émeute une recherche de spectaculaire, quelque chose de l'ordre du démonstratif ; on se donne à voir. » Et en cela l’émeute tient de l’expérience esthétique, mais avec une dynamique que traduit finement ce Charme de l’émeuteet qui fait de cet objet a priori politique, un pur sujet chorégraphique.

La pièce est construite comme un long plan-séquence où le glissement de la gestuelle permet la transition, sans heurt et sans interruption, à l’exception de la fin, nous y reviendrons. Tout commence donc dans le coin haut de jardin. Le groupe s’est constitué. Ils sont cinq. Ils attendent sans doute quelque chose, à l’image de cette figure immobile détachée des autres et qui toise un adversaire absent. Une fausse tension, faite de postures et de conventions, avec les costumes indiquant le rôle : lunette de natation, casque, chèche et blouson… 

Bande-son illustrative d’éclats, d’explosions et de rumeurs. De postures en libido, l’émeute devient le moment où se libère un désir charnel, une érotique de l’insurgé comme un pied de nez aux règles sociales. Et très normalement, cela glisse vers la ronde dionysiaque et le sacrifice rituel d’un membre frappé au sol, vers l’excès. Même quand un des danseurs feint d’appeler le public à rejoindre la manifestation sur le plateau, cela sonne comme le plaisir d’une ola que l’on voudrait lancer des tribunes, comme l’appel au soutien d’un groupe de rock à son public. Cela sonne comme un moment d’érotisme collectif.

Et que faire après l’orgie -le déchaînement de violence en l’occurrence- sinon réinventer un ordre. Le déploiement spatial des danseurs se structure ; la révolte, puis l’exubérance et la bacchanale aboutissent au défilé, à ce carnaval de figures cherchant à se ranimer dans l’excès ordonnancé.

Vision sombre de que cette émeute vidée de son contenu politique. Rendue à sa forme, elle n’est donc qu’une posture esthétique de l’excès, une mise en scène de soi-même en rebelle. Et le propos de Thomas Chopin s’interrompt. Le noir se fait, on croit la fin. Mais la lumière revient sur le groupe qui se livre à un genre de petite danse de salon élégante et raffinée, comme un « Vingt-ans après » chic et légèrement canaille. Le vraimessage politique de ce Charme de l’émeutese trouve là, et dans ce qu’en aurait pu écrire Frédéric Fajardie, citant Napoléon, dans son impeccable Jeunes femmes rouges toujours plus belles(Messidor, 1990) : « Dans les révolutions, il y a deux sortes de gens, ceux qui les font et ceux qui en profitent ». 

Philippe Verrièle 

Vu à Paris le 17 janvier 2020 , Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du festival Fait d’Hiver

Représentations du Charme de l’émeute :

Les Halles de Schaerbeek à Bruxellesle 25 mars 2020
Le Sablier à Ifs le 5 Mai 2020

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