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Le Ballet Preljocaj reprend « Roméo et Juliette »

26 ans après la création, double voyage dans le temps à Chaillot avec le grand classique d’Angelin Preljocaj.

Ce que nous révèle cette adaptation du classique de Shakespeare, c’est qu’en vingt-six ans, le paysage chorégraphique a bien changé. Et cela peut se dire sans jugement de valeur. Non, le Roméo et Juliette d’Angelin Preljocaj, à l’origine créé pour le Ballet de l’Opéra de Lyon, n’est pas une pièce « datée ». Simplement, son approche est radicalement différente de ce qu’on chorégraphie aujourd’hui pour une troupe de ballet ou autre compagnie de telle envergure. Et pourtant cette pièce parle de notre avenir, aujourd’hui autant qu’il y a un quart de siècle. Le scénario de Preljocaj, aux accents de Brave New World et 1984, n’a rien perdu de sa pertinence.

Le drame se joue devant un palais fantasy surplombé d’une galerie, décor d’une prestance devenue très rare en ballet, conçu (comme les costumes) par Enki Bilal. Dans cette ambiance de rétro-futurisme mythologique, les milices du clan au pouvoir livrent une implacable démonstration des liens étroits entre les arts chorégraphique et militaire. Sous l’extrême discipline de l’exercice d’une brigade de robocops, sous leurs tours de bras, leurs sauts et leurs voltes se cache pourtant un potentiel burlesque. On mesure ici pleinement à quel point Chaplin, dans Le Dictateur, fait passer un message optimiste.

Aux sources du Preljocaj politisé

Dans la version Preljocaj de Roméo et Juliette, ce ne sont pas deux familles qui s’affrontent dans un contexte de rébellion, mais deux castes et deux modèles de société. La prise de position politique peut paraître schématique dans sa mise en scène d’un conflit entre un prolétariat opprimé et la caste dirigeante. Aussi ressemble-t-elle à la transposition dans la version de Bertrand d’At qui situe l’action en pleine Révolution d’Octobre.

A plusieurs reprises, un vigile balade son chien au-dessus du plateau, balayant la salle avec sa torche. Le public est alors physiquement exposé aux menaces subies par Roméo et ses camarades. Un tel franchissement du quatrième mur représente une transgression, aujourd’hui plus qu’en 1990. Quelle compagnie de ballet créerait aujourd’hui une fresque aussi offensive?

Une seule fois Preljocaj est revenu à la charge, en tant que chorégraphe invité par une grande compagnie, avec une prise de position politique aussi directe. Mais c’était à Moscou au Bolchoï, avec Suivront mille ans de calme. Certes, il n’a jamais complètement abandonné les sujets sociétaux (N, Ce que j’appelle oubli, Retour à Berratham), mais il n’a plus jamais chargé les corps de lignes aussi virulentes ni chorégraphié des combats aussi brutaux que dans Roméo et Juliette où l’esthétique radicale de la gestuelle militarisée crée des images indélébiles. La gestuelle traduit parfaitement les effets d’un système totalitaire qui ne connaît que des paramètres binaires : Pour ou contre, ami ou ennemi.

Des unissons symboles de division

La tragédie shakespearienne devient ici un drame politique qui ne laisse aucune porte ouverte à la réconciliation. On ne change pas un système politique suite à la mort de deux adolescents, d’autant plus que Juliette est traitée en traîtresse de sa condition. Autour d’elle, toute humanité a disparu, et donc tout soutien complice. Le Frère Laurent est rayé de la carte. Les nourrices, deux bêtes à la Tex Avery, encadrent et surveillent au lieu d’être des confidentes.

Leurs attitudes, aussi félines soient-elles dans leurs attitudes (la manière de poser le pied!), reflètent, dans la rigueur des unissons, l’implication de chacun dans le système. Et cela inclut même les victimes. Quand les pauvres se lâchent pour évacuer leurs peurs et deviennent frivoles, ils sont encore traversés et cadrés par cette emprise qui formate les corps et les esprits. Même Roméo et Juliette ne s’affranchissent de la carapace que dans leurs scènes les plus intimes, et surtout dans la mort.

Mais autant que sur l’unisson, ce ballet est basé sur des structures répétitives. Certains gestes tournent en boucle, tout comme les motifs-clé de la partition de Prokofiev. Par ailleurs, un mouvement répétitif n’est qu’une autre dimension de l’unisson, par sa façon de transposer les unissons vers une dimension temporelle.

La troupe actuelle qui, sans monter sur pointes, fait ainsi un voyage dans le temps, excelle en faisant revivre quelques spectaculaires prouesses physiques, d’une virtuosité quasiment circassienne. Quand Roméo fait virevolter Juliette telle une hélice, on peut par ailleurs y déceler les origines du pas de deux emprunté à Le Parc, devenu L’Envol, la publicité pour Air France avec Benjamin Millepied. La nouvelle génération de danseurs du Ballet Preljocaj s’empare de la pièce avec enthousiasme, et une nouvelle génération de spectateurs peut parfaitement la mettre en rapport avec le contexte politique actuel.

Thomas Hahn

Vu à Chaillot - Théâtre National de la Danse, le 15 décembre 2016

Représentations jusqu’au 24 décembre

http://theatre-chaillot.fr/angelin-preljocaj-romeo-et-juliette

Chorégraphie Angelin Preljocaj

Décor Enki Bilal

Costumes Enki Bilal et Fred Sathal

Musique Serge Prokofiev Roméo et Juliette

Création sonore Goran Vejvoda

Lumières Jacques Chatelet

Pièce remontée par Youri Aharon Van den Bosch, assistant et adjoint à la direction artistique

Choréologue Dany Lévêque

En tournée :

Du 25 au 19 janvier Lyon, Maison de la Danse

Les 10 et 11 mars Albi, scène nationale

Le 18 mars Meaux, Théâtre Luxembourg

Du 23 au 26 mars Blagnac, Odyssud

Les 12 et 13 mai Fréjus, Le Forum

Du 16 au 24 mai Rennes, TNB

 

 

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