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La Scala, ouverte à tous les arts

Mardi 11 septembre, c’était soir d’affluence sur le trottoir du 13 boulevard de Strasbourg à Paris. Une foule très parisienne, entre people, actrices, politiques et personnalités, se pressait pour franchir les portes de la nouvelle Scala Paris qui, après deux ans de travaux, fêtait son ouverture.

Faudrait-il écrire ré-ouverture ? Car si le bâtiment lui-même est flambant neuf, l’adresse est chargée d’histoire. Dès 1873, le café concert La Scala accueillait la fine fleur des chansonniers, de Mayol à Fréhel en passant par Yvette Guilbert. Transformée en cinéma à partir de 1936, la salle devient un bijou Art Déco où sont projetés en première exclusivité les chefs-d’œuvre du parlant.

Autres temps, autres mœurs, l’année 1977 signe sa reconversion en salle multiplexe, la première de Paris, avec une programmation de films… pornographiques. L’ultime avatar date de 1999, où la Scala se mue en église baptiste jusqu’en 2006. Suivent des années de fermeture, et un sauvetage in extremis par Bertrand Delanoé alors maire de Paris, non au titre des murs - dont l’état originel est détruit depuis belle lurette - mais dans sa « destination culturelle ». Toute cette histoire faisait l’objet d’un petit film documentaire projeté, en guise d’amuse bouche, aux quelque cinq cent soixante invités venus célébrer l’événement.

Les propriétaires du lieu, Mélanie et Frédéric Biessy, faisaient ensuite les présentations de ceux « sans qui rien n’aurait été possible ». Au premier rang desquels figurait le scénographe Richard Peduzzi, qui a conduit une rénovation élégante, habillant tout l’espace intérieur d’un superbe bleu profond et laissant à nu, au-dessus du gradinage modulable (qui monte la jauge jusqu’à sept cent cinquante personnes) une spectaculaire hauteur sous plafond.

Egalement remercié, le compositeur Philippe Manoury signe l’identité sonore du lieu, une partition baptisée Skala qui anime musicalement les espaces publics. Dans ce bel écrin, tous les arts étaient conviés, insistait le couple. Pour sa première saison, La Scala affiche en effet une programmation à la fois éclectique et dûment référencée, qui aligne quelle que soit la discipline les noms en vue du moment. Côté danse, place donc à Olivier Dubois dans Prêt à Baiser Sacre#1, une performance d’après Le Sacre du Printemps ; à Elodie Sicard, accompagnée au piano par Bertrand Chamayou autour des Mysterious Adventures de John Cage ; à Jaco Van Dormael et Michèle Anne De Mey pour leur trilogie Kiss & Cry, Cold Blood, et AMOR, cette dernière en création française ; à Aurelien Bory pour une Carte Blanche qui permettra de voir ou revoir aSH, Plexus et Questcequetudeviens.

Les arts visuels ne sont pas en reste avec la création de surprenants Fauteuils d’artistes, le premier étant confié à Annette Messager, et des installations vidéo. La musique s’annonce en fanfare dès les 20 et 21 septembre, au cours d’un week-end baptisé « Aux Armes, contemporains » et dédié aux sons d’aujourd’hui ; quant au théâtre, il est bel et bien représenté par une Carte blanche à Yasmina Reza, par la reprise, inédite à Paris, de l’Arlequin poli par l’amour de Thomas Jolly, ainsi que par des lectures concerts animées par une pléiade de comédiennes et comédiens.

Restait à cocher, pour être complet, la case arts du cirque, que remplissait précisément le spectacle d’ouverture de Yoann Bourgeois intitulé Scala. Conçu, comme son nom l’indique, en inspiration avec le lieu, il condensait en un peu plus d’une heure toutes les obsessions de l’artiste, telle une nouvelle variation sur un même thème.

Apparitions, disparitions, point d’équilibre et de suspension, univers qui se déglingue, décor désarticulé et humains désorientés… Ni tout à fait pareil, ni tout à fait un autre, à l’image de ses cinq interprètes masculins à l’apparence presque interchangeable, cette Scala charmait avant de finir par lasser à force d’étirer le temps et de répéter les gestes. La pièce n’est pas avare en belles images, comme ces mains sortant du sol qu’on s’efforce en vain de balayer, ou cette disparition finale dans une marche d’escalier. Quant aux chutes depuis l’escalier sur le trampoline, elles raviront à coup sûr celles et ceux qui découvrent l’œuvre du co-directeur du CCN de Grenoble. Mais on aimerait que ses prochaines créations, notamment celle prévue en ce même lieu au mois de juillet 2019, renouvellent davantage son univers et ses motifs...

Galerie photo © Géraldine Aresteanu

Au plus fort de ce moment festif, on ne pouvait s’empêcher de songer à une autre ouverture en fanfare, l’an dernier, à la même époque : celle du 13e Art, dont la programmation, stand up et comiques en prime, affichait alors les mêmes ambitions d’ouverture à toutes les disciplines. Las, douze mois plus tard, éclaboussé par les révélations sur son propriétaire dans le sillage de l’affaire #MeToo, le théâtre a revu ses moyens à la baisse et semble - au minimum - mal en point.

Les différences, pourtant, sont notables. Alors que le 13e Art affichait un fonctionnement et une économie entièrement privés, la Scala défend un modèle original de « théâtre d’art privé d’intérêt public ». Elle a bénéficié, pour sa construction et sa rénovation, de subventions conséquentes de la part du ministère de la Culture et du conseil régional d’Ile-de-France (500 000 euros chacun), sans compter le soutien de la Ville de Paris. 

Ses dirigeants annoncent aussi la création d’un fonds de dotation et des partenariats en cours avec des entreprises ou des institutions. Ils mettent aussi en avant le large réseau tissé depuis des années avec le réseau français et européen des théâtres publics au travers de la société de production de Frédéric Bessy, Les Petites Heures. Souhaitons très sincèrement que ce nouvel outil pour la création, qui prend courageusement le risque de l’hybridation et des longues séries pour chacun de ses temps forts (au total quatre cent cinquante représentations) résiste plus durablement à l’air du temps.

Isabelle Calabre

Vu le 11 septembre à la Scala - Paris

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