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La dernière tournée de Trisha Brown

C’est la dernière fois que l’on verra à Paris les œuvres scéniques de Trisha Brown. Pour ce programme d’adieux, la compagnie, dirigée actuellement par deux de ses anciennes interprètes, Diane Madden et Carolyn Lucas, a choisi de faire une rétrospective en quatre pièces, de Solos Olos (1976) à Present Tense (2003 réecrite en 2014).

Film réalisé par Eric Legay pour Danser Canal Historique

Solos Olos, un quintette, fait partie de la veine des Accumulations pieces dont nous avons pu avoir un avant-goût au CND en tout début de saison. La pièce est une sorte de jeu partitionnel qui consiste à dérouler la chorégraphie dans un sens, puis la reprendre dans l’autre, comme une bande sonore que l’on rembobinerait. C’est brillant, et demande des danseurs une sorte de prouesse mentale. Les cinq danseurs tout de blanc vêtus fuguent donc cette partition gestique dans le silence le plus absolu, mises à part quelques consignes proférées ça et là par l’un d’entre eux. Légère, la gestuelle semble se déchiffrer peu à peu, tandis que les interprètes mènent un travail délicat pour faire apparaître la ligne de cette phrase unique qui se déploie sous nos yeux. Ce sont des trajets intérieurs, des relations internes qui tissent cette chorégraphie « blanche » qui se contente de faire varier les états des corps dans l’espace dans des enchaînements maillés un point à l’endroit, un point à l’envers.

Photos : Stéphanie Berger

Son of Gone Fishing (1981), est une vraie découverte. Sur la musique de Robert Ashley, la chorégraphie se développe dans un rythme doux et continu, dans une scéngraphie qui fait la part belle à une ambiance mordorée distillée par les costumes et la lumière. L’espace semble ici d’abord restreint au corps des danseurs dont le flux continu finit par évoquer des flots miroitants au soleil. Plus complexes que dans la pièce précédente, et même si elle utilise un peu les mêmes procédés de reversion, les phrases chorégraphiques s’entrelacent comme une fugue à six voix (du nombre de danseurs présents sur le plateau) qui s’assemblent ou se singularisent en permanence. S’en déduit une sorte d’effet miroir,qui tient en grande partie à ce décuplement du mouvoir plus encore que du mouvement, qui finit par engendrer une forme de rapidité qui vient de cette entrecroisement.

Photos : Stéphanie Berger

 C’est d’une beauté inouïe et donne l’impression que l’on pourrait regarder pendant des heures, sans se lasser, cette danse fluide qui se semble se construire sous nos yeux pour en révéler les innombrables reflets.

Après un entracte, le duo Rogues (2011), sur une musique d’ Alvin Curran est une merveille d’intelligence. Stuart Shugg et Marc Crousillat, sont totalement connectés l’un à l’autre, alternant élans et lâchages, désaisissements et rattrapages, dans une sorte de poétique du pondéral.

Photos : Stéphanie Berger

Sur une mélodie à l’harmonica, le mouvement évolue à travers une palette de mutations dégradées, les danseurs restant équidistants. Ils s’amusent d’un contrepoint finement ciselé, dissociant et associant les gestes, qui crée un jeu du double assez hallucinant.

Enfin, Present Tense et ses portés ahurissants clôturait la soirée. Sur la sonate pour piano préparé de John Cage, c’est l’immense liberté d’invention de la chorégraphe que Present Tense met au jour.

Film réalisé par Eric Legay pour Danser Canal Historique

Chocs, chutes, mouvements à angles droit et pourtant d’une souplesse infinie, portés aussi aériens que surprenants, donnent à l’ensemble l’aspect d’une architecture abstraite et joyeuse. Rien n’est inutile, tout est passionnant. La danse semble surgir du néant, laissant jaillir toutes les couleurs d’une palette émotionnelle due à l’imprévisibilité du mouvement suivant. C’est aussi beau et énigmatique qu’une des œuvres plastiques de cette grande dame de la danse qu’est et restera Trisha Brown.

Agnès Izrine

Théâtre national de Chaillot du 4 au 13 novembre 2015.

 

En Tournée :

Le 24 novembre à l’Espace André Malraux de Joué-lès-Tours 

Les 26 et 27 novembre à la Maison de la Culture de Bourges

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