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La Batsheva à l’Opéra de Paris

C’est la première fois que la compagnie israélienne foulait le plateau de l’Opéra de Paris, même si, Perpetuum d’Ohad Naharin, son directeur et chorégraphe, était déjà entré au répertoire du Ballet en 2000.

Créé en 2005, Three, comme son nom l’indique est un triptyque composé par : Bellus (Beauté), Humus (Terre), et Secus (Autrement, mais aussi dans le sens d’Oxymore).

Les trois pièces dès le départ jouent la simplicité : pas de costumes, sinon, le jean et le T-shirt de monsieur madame tout le monde, pas de décor, sinon quelques cubes… On n’en dira pas autant des lumières, qui, pour faire simple, n’en sont pas moins compliquées.

 

 

Bellus commence face, tous les danseurs immobiles tandis que s’élèvent les notes de la première variation Goldberg de J.S. Bach, jouée par Glenn Gould dans sa dernière version de 1981. Un solo, dansé par Bret Easterling, dessine dans l’espace la ligne mélodique qu’énonce cette première variation, bientôt rejoint par le groupe de danseurs. La gestuelle, totalement organique, alterne mouvements heurtés et étirements matiérés, chaque membre se déployant comme autant de fines antennes, tandis que le corps n’est plus que la somme d’articulations inconnues du simple mortel. Il y a une grâce infinie dans chaque suspension, une sorte d’apnée du mouvement qui assigne le regard du spectateur à la contemplation. Pourtant, chaque geste nous est connu, presque ordinaire. Ce qui ne l’est pas, c’est cette clarté de l’expression. Chaque bras qui se lève fait sens, chaque relevé sur un pied est déjà une syncope.

 

Un duo plus primesautier ouvre la 2e partie des Variations Goldberg. L’accord des deux danseurs est éblouissant, et matérialisent les deux voix avec une sorte de précision mathématique qui n’exclut pas une sensualité de chaque instant. Un unisson, si bien distribué qu’il semble agrandir l’espace, prend le relais et le sens du mot « variations » prend tout son sens dans ces ellipses, ces courses mains tendues en avant, ces bras qui se plient et se déploient, ces torses qui se cabrent. Repassant par la ligne face (comme dans Naharin’s Virus) ils se dissipent en duos tout en contrastes, jouant sur la gravité, les corps au bord de la rupture. On reste médusés devant ces explosions corporelles, ces membres qui se diffractent et se rétractent, ses sauts surgis de nulle part.

Silence.

 

Un homme entre tenant sa tête entre ses mains. Ou plutôt, l’image de sa tête sur un écran qui déclame d’un ton neutre : « La prochaine pièce que vous allez voir, Humus, n’est dansée que par les filles. Il y a treize sections à l’unisson, chaque section occupe un espace différent sur la scène. Il y a 200 projecteurs suspendus au-dessus de la scène. Les costumes sont les mêmes que dans Bellus…. »

Autrement dit, je vous donne la structure, l’essentiel est ailleurs. Façon de signifier – et de prouver – qu’une chorégraphie réussie, dépasse de loin ce que l'on peut en dire et son aspect formel. Reste le mystère de l’écriture, car c’en est un, qui laisse à chacun le privilège de l'imaginaire.

Photos"Humus" © Laurent Philippe/OnP

 

La chorégraphie est assez méditative, musique de Brian Eno oblige, mais contrariée par cet unisson volontaire et contraint… qui dévoile on ne peut mieux la personnalité de chacune des danseuses. De méditative, la chorégraphie devient guerrière, chacune des danseuses se frappant le buste, marchant en cadence, ou en courses véloces, donnant à la fin, l'impression d'oiseaux mécaniques et de corps criblés de balles.

Le danseur et son écran reparaît pour nous informer sur ce qu’on va voir et prévient « qu’il y aura des “black out” ».

 

Enfin, Secus, est une sorte de festival de virtuosité. L’écriture est très rapide, entrées, sorties, mouvements arrêtés, parfois suspendus en plein vol, ou d’une souplesse ahurissante, à la limite de la contorsion, parsèment cette troisième partie. Les fameux “black out” ont lieu lors d’un duo époustouflant.

 

On passe des Beach Boy aux mélopées moyen-orientales en un clin d’œil. Les corps sont au bord de l’explosion ou de l’implosion, ou se glissent dans une sorte de tango rock, ou dans un cocktail qui mélange toutes les danses sur une musique bollywood à souhait, avant de passer dans une gestuelle plus serrée, toujours inattendue, dans une chorégraphie aux lignes tirées au cordeau qui finit dans une ambiance de crépuscule.

C’est du grand art.

 

Agnès Izrine

5 janvier 2016 - Opéra de Paris, Palais Garnier

Du 5 au 9 janvier 2016

https://www.operadeparis.fr/billetterie/32-batsheva-dance-company

 

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