June Events : « Earth » de Louise Vanneste vs « This Cavern » de Daniel Linehan
Les deux chorégraphes bruxellois évoquent nos énergies intérieures et organiques. Avec des résultats et énergies très opposés.
Une soirée en deux volets, totalement indépendants l’un de l’autre, peut créer des résonances et imbrications thématiques ou esthétiques plus ou moins inattendues. Intention ou intuition ? En faisant se succéder deux créations en écoute de la nature, de son esprit et sa relation, organique comme symbolique, avec l’humain et son corps, Anne Sauvage a pleinement exploité le double sens de « direction artistique », en une soirée où l’écoute de l’intérieur de soi réveilla les esprits de la forêt et les forces des entrailles. Soirée très bruxelloise par ailleurs, où Earth de Louise Vanneste précéda Listen Here :This Cavern de Daniel Linehan.
Deux pièces de groupe, deux actes contemplatifs et complémentaires. Chez elle, quatre femmes sur un sol en mousse. Chez lui, un quintette à dominante masculine qui fait bloc en entrant. Cinq individus qui font groupe, qui vivent toutes les émotions qu’on peut lier à l’obscurité, qui s’agitent, courent, dansent en cercle. Dans la pénombre, leurs présences sont furtives. Absences-présences. Ils sont ces entrailles qu’on nous appelle à écouter enfin, à écouter mieux.
Chez Louise Vanneste, le blanc des costumes crée au contraire une présence absolue, un état premier, une innocence philosophique. Jamais les quatre ne se touchent, et de ce fait aussi, on peut se demander pourquoi la distribution se limite à quatre femmes. Il reste de la place pour des hommes sur le carré verdâtre couvert de lichen originel.
On se demande aussi pourquoi Earths a besoin de la salle et d’un tapis de danse, au lieu d’aller dans la nature, comme beaucoup d’autres propositions de cette édition de June Events. La réponse est vite trouvée. Tous les animaux de la forêt seraient sans doute traumatisés à vie par l’assourdissant déluge musical signé Cédric Dambrain qui rappelle avec insistance les orages sonores d’un certain Kaspar T. Toeplitz qui font vibrer les créations de Myriam Gourfink.
Dans Earth de Vanneste, les danseuses peuvent même rappeler cette écoute intérieure qui caractérise l’approche chez Gourfink. Car Paula Almiron, Amandine Laval, Léa Vinette et Caselie Yalombo laissent monter en elles une énergie qui semble se nourrir de la terre. A la fois enracinées et libres, elles peuvent se déplacer de manière imperceptible et évoquer en même temps des esprits des airs.
Mais surtout, Vanneste n’a pas besoin de lancer un appel explicite, lourd et didactique comme Linehan qui nous dit d’emblée : « Ecoute avec l’ensemble de ton corps ! » Pas besoin de paroles, de discours. Les quatre présences blanches invitent à un acte contemplatif et donnent au regardeur la liberté absolue de se balader par les yeux, de changer entre plan large et zoom, de se laisser absorber par les structures de lichen. Earth tient de l’installation et de l’œuvre plastique. Ce qui n’exclut pas tout romantisme. Quand la nuit tombe et la lune semble éclairer les quatre créatures éthériques, certaines d’entre elles se transforment en cygnes blancs. Vanneste renonce cependant à nous faire traverser la nuit jusqu’à l’aube.
Galerie photo © Caroline Lessire
Linehan, de son côté, crée une obscurité sans fin, surtout dans le temps. Refuse obstinément de terminer sa pièce, même après avoir épuisé la partition de Pauline Oliveros, réellement enregistrée dans une caverne. Celle-ci est en effet de grande beauté et invite à se laisser porter, les yeux fermés, alors que les mouvements, individuels ou de groupe, de l’immobilité à la vitesse éclair, promettent sans cesse des événements chorégraphiques originels. Et finalement tournent en rond, ne dépassant jamais les poncifs. Peut-être faudrait-il placer This Cavern dans une caverne réelle, pour retrouver le lien réel avec les entrailles et le minéral que l’on sent dans la musique, selon le chorégraphe. Les cailloux disposés sur les chaises des spectateurs ne suffisent pas.
Galerie photo © Danny Willems
Entre Earth en bi-frontal et This Cavern en quadri-frontal, c’était donc, ce soir-là, le jour et la nuit. C’était le regard libre sous une écoute abasourdie suivi d’une écoute libre et d’un jeu avec l’absence qui peine à engager le regard. C’était là l’organicité naturelle sur le lichen, suivie d’interminables discours dans l’obscurité. Mais les deux se sont terminés avec les interprètes venant vers les spectateurs pour leur chuchoter quelques confidences. Ecoute la symphonie de tes organes, dit Linehan qui pourtant engage ses interprètes dans des mécaniques chorégraphiques convenues. Chez Vanneste, pas d’écriture classique de mouvement, juste du ressenti à partir d’un état à la lisière du végétal et de l’animal, immédiatement et durablement source de curiosité instinctive. Le diptyque était presque parfait…
Thomas Hahn
Vu le 2 juin 2022
Festival June Events,
Earths
Concept & chorégraphie : Louise Vanneste
Son : Cédric Dambrain
Dramaturge : Sara Vanderieck
Scénographie et éclairage : Arnaud Gerniers
Chorégraphie et danse : Paula Almiron, Amandine Laval, Léa Vinette, Castelie Yalombo
Costumes : Jennifer Defays et réalisation des costumes par l'Atelier de costume du théâtre de Liège
Collaboration : Anja Röttgerkamp
Listen Here : This Cavern
Concept & chorégraphie : Daniel Linehan
Création & interprétation : Gorka Gurrutxaga Arruti, Renaud Dallet, Anneleen Keppens, Jean-Baptiste Portier, Louise Tanoto
Dramaturgie : Ingrid Vranken
Costumes : Geoffroy Darconnat
Lumières : Elke Verachtert
Sound design : Christophe Rault
Musique : Deep Listening de Pauline Oliveros, Stuart Dempster, Panaiotis
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