« Jour et nuit » de Catherine Diverrès
Ce soir-là, le festival de danse parisien délocalisé à Créteil-Soleil eût pu être rebaptisé Faits Diverrès, ayant fait la part belle à la chorégraphe du même nom.
La MAC, acronyme féminin sans ambiguïté, avait accueilli la création de cette figure historique de la danse contemporaine française dans la petite salle, qui n’est pas si minuscule que cela, et qui avait quasiment fait le plein.
Ce plein, pour ne pas dire ce trop-plein, on le trouve d’un bout à l’autre d’une pièce d’un assez long métrage – celle-ci dépassant les 90 minutes. L’opus est riche, très riche, saturé de signes, et au moins du double d’intentions et d’actions du spectacle routinier – il faut croire que son auteure a voulu illustrer son sujet en traitant exhaustivement et du jour et de la nuit. D’un « jour et nuit de fête », pour citer la feuille de salle, qui lui permet « la plus grande liberté stylistique », à savoir l’hybridation entre « le baroque, l’expressionnisme, l’abstraction lyrique [et] le romantisme ».
Cette hybridation ou ellipse dans l’évolution des espèces donne lieu à des formes et à des fantasmes zooanthropiques ou, au contraire, à un bestiaire anthropomorphique. La pièce se présente en effet comme une suite de tableaux ou d’images poétiques, plutôt à la façon du Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand que d’un spectacle habituel de music-hall – à cet égard, le grotesque incarné par les neuf danseurs n’a ni la légèreté ni le clinquant de celui des freaks du défilé de mode de Jean-Paul Gaultier aux Folies Bergère.
Nous assistons ici au cortège d’hommes-cerfs (portant casques de soldats appareillés de bois caducs ramifiés) rappelant le Sorcier dansant de la grotte des Trois-frères, de lycanthropes et de loups-garous, de cynanthropes ou hommes-chiens, d’hommes-faucons démarqués du dieu Horus, de centaures, de sirènes, d’associations étonnantes démarquées de peintures comme le portrait aux poissons et aux coquillages d’Arcimboldo, le bouc du Sabbat des sorcières, l’âne de Même son grand-père de Goya, la femme-poisson de L’Invention collective de Magritte ou des collages d’Une semaine de bonté de Max Ernst, de masques, loups et clichés d’une imagerie sous-surréaliste influencée par le Judex de Franju.
Le tout, accompagné de musiques du bon vieux temps, comme ce Night and Day (1932) de Cole Porter ou le Star Splangled Banner (1969) de Jimi Hendrix contestant à Woodstock la Guerre du Viêt Nam, ainsi que de lieder romantiques chantés natürlich en allemand et de sons électro-acoustiques de tendance noisy, industrielle, mécanique – on pense alors aux vers de Jean Ferrat : « Ma môme, elle pose pas pour les magazines, elle travaille en usine, à Créteil. »
Le Jour et la nuit, titre d’une partition de Léon Minkus, est également celui d’un ballet de Janine Charrat qui fut porté à l’écran en 1952 par Jean Benoit-Lévy. La pièce de Diverrès fait songer au... Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, où figurait, entre autres, le personnage de Bottom caractérisé par sa tête d’âne, pièce qui fit l’objet d’adaptations chorégraphiques par Petipa, Fokine, Christensen, Taras, Ashton et Balanchine.
Galerie photo © Nicolas Joubert
La chorégraphie de Diverrès ne vise pas à l’unité stylistique et sa structure paraîtra décousue à plus d’un. Cet informel assumé avec, au final, l’inévitable séquence de ballroom et ses figures imposées du revival jerk, la compagnie au complet étant emperruquée et vêtue Op Art, manière Vasarely, suffisent-ils à rendre actuelle, contemporaine ou simplement moderne l’œuvre ? Pas sûr. D’une part, le néoclassique (demi-pointes, attitudes, port de bras, gracieuseté, etc.) domine là où l’on espérait des danses plus... animales. De l’autre, même si cela ne veut naturellement rien dire, le public de la première ne nous a pas semblé particulièrement enthousiaste et ses rappels ont été contingentés.
Les gueules ouvertes de personnages plus ou moins bestiaux d’où jaillissent des langues lubriques remémorent les fables de La Fontaine revues et corrigées par Bob Wilson pour la Comédie-Française.
Pour ce qui est de la danse, Catherine Diverrès a, logiquement, démocratiquement, distribué sa troupe composite, en majorité masculine, où coexistent diverses morphologies. Mentionnons les artistes : Pilar Andres Contreras, Alexandre Bachelard, Lee Davern, Nathan Freyermuth, Harris Gkekas, Capucine Goust, Isabelle Kurzi, Rafael Pardillo, Emilio Urbina. Formés à plusieurs disciplines – classique, théâtre, cirque, mime – ils sont remarquables. Une mention spéciale revient à Capucine Goust, élégante, fine, suggestive, aérienne. Elle est le fil conducteur de la pièce.
Galerie photo © Nicolas Joubert
Il faut louer la qualité de la production, les costumes de Cidalia Da Costa et Anne Yarmola, les lumières de Marie-Christine Soma et Fabien Bossard, les effets sonores de Kenan Trévien et les décors simples mais qui font leur effet de Laurent Peduzzi. Diverrès garde le meilleur pour la fin : le numéro à échasses qui illustre le Night and Day de Cole Porter immortalisé par Fred Astaire dans The Gay Divorcee. On repense à son hommage à Bojangles dans Swing Time, des prothèses lui étirant démesurément les jambes.
Nicolas Villodre
Vu le 13 février à la Maison des arts de Créteil.
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