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« Je suis lent » de Loïc Touzé

Une conférence dansée délicieuse, où Loïc Touzé raconte avec humour et tendresse son parcours de danseur et chorégraphe.

Pour clôturer en beauté le focus de deux jours dédié par Anne Sauvage dans le cadre de June Events à Loïc Touzé, le danseur et chorégraphe délivre avec une incroyable sincérité son parcours d’artiste avec Je suis lent, entre souvenirs intimes, égarements, interrogations et rencontres avec ceux et celles qui vont le guider vers des chemins escarpés.

Seul en scène avec juste une table et une chaise où trône son ordinateur qui lui permet d’envoyer des photos ou vidéos sur un grand écran, Loïc Touzé s’adresse directement au public comme s’il était un ami à qui il allait parler en toute liberté. Il met tout de suite à l’aise en prouvant ainsi qu’il ne s’agira pas d’une conférence extrêmement sérieuse, mais d’une simple conversation où état d’âmes et souvenirs dévoileront la vie d’un artiste.

Il entre à l’Opéra de Paris à 10 ans et comprend vite qu’il y est « pour apprendre à devenir un prince charmant avec une lourde histoire de la danse depuis Louis XIV ». Il rit lui-même en évoquant son professeur russe opéré de la hanche, donc l’imitant assis la jambe raide et donnant les indications de figures uniquement en bougeant les mains et les bras. Puis, il vit son premier défilé. « Juste avant d’entrer en scène, nous étions tous regroupés dans une toute petite salle et mon visage était à la hauteur des tutus très raides des danseuses. Ça me grattait le nez, le front, la bouche et je craignais d’apparaitre avec la figure en sang ». Eclat de rire de la salle tant Loïc raconte bien cet épisode. Il imite les révérences, puis l’arrivée du plus ancien de la troupe qui a le privilège de faire son entrée en dernier. « Et d’un coup, je ne vois plus en Cyril Atanassoff un prince charmant, mais un homme qui marche comme John Wayne ! »  

Toujours à l’Opéra, le jeune danseur est très conscient de ce qu’il sait faire en classique, , et le prouve en quelques pas sublimes, mais sa véritable envie qu’il était incapable d’exécuter, il le montre avec un extrait de film projeté sur l’écran. Il s’agit d’un Américain à Paris et bien entendu de Gene Kelly. Et voilà Loïc qui se lance dans un morceau de claquettes avec le sourire aux lèvres et une aisance remarquable. Il s’élève et vole avec une infinie légèreté.

Tout est tellement drôle et si sympathique que toute la salle, qui est éclairée, a le sourire aux lèvres.

Enfin, c’est la rencontre avec Carolyn Carlson en 1985/86 et il ose lui dire « Emmenez-moi ». C’est ainsi qu’il démissionne de l’Opéra, afin de se tourner vers la nouvelle danse pour rejoindre les projets de Carolyn Carlson, Mathilde Monnier, Jean-François Duroure, Catherine Diverrès et Bernardo Montet. Puis, il suit les cours d’Alwin Nikolais et se lance dans le yoga et le Tai-chi. Loïc s’allonge au sol et déclare : « j’étais lent, mais en plus, je suis devenu paresseux. Mais surtout, je découvre que le centre de mon corps est hors de moi, qu’il fallait résister à la virtuosité, mais impossible d’y arriver tant j’avais été formaté par le classique ».

« Sauf qu’à force de vouloir déconstruire, j’arrivais plus bas qu’à l’époque de mes connaissances lorsque j’avais 10 ans. »

Et puis, c’est l’observation de la pièce qu’il considère comme la plus contemporaine, l’Après midi d’un Faune de Nijinski (1912). Ainsi, le danseur propose de montrer le début de l’œuvre. Il s’abaisse au sol la main sous le menton. Son geste qui se déploie est beau, parfait, émouvant. « Voilà la preuve que la danse est un véhicule du temps. »

En fait, le rapport public/scène ne le séduit pas, il quitte les théâtres pour acheter un chapiteau, travaille dans une friche à Bilbao et à la Ferme du Buisson.  

Pas question de décliner son curriculum vitae, non, Loïc Touzé préfère sauter dans le temps avec un petit film du premier spectacle qu’il a vu étant enfant. Il s’agit des Frères Jacques. Formidable !

Et toutes ses interrogations sur le corps dansant se déploient dans des mouvements désynchronisés. « Un corps est traversé par le monde, sa mémoire est le sol, mais son centre peut se situer n’importe où. » Il fait ainsi plusieurs fois référence au Butô afin de réveiller les forces cachées dans la profondeur de l’âme humaine.

Parmi les questions qu’il se pose, certaines explications sont propres à l’art dramatique et en particulier dans les écrits de Stanislavski afin de comprendre comment entrer dans un personnage, comment l’aimer, le construire, se nourrir du public, de son propre vécu et devenir lui et non soi-même interprétant un autre. Mais le danseur et chorégraphe réplique qu’il préfère trouver ses réponses seuls à travers de nouvelles expériences.

Cet exercice périlleux et si difficile de se mettre à nu en parlant de soi, Loïc Touzé le réussit à merveille. Fin, élancé, des yeux bleus malicieux, entre mouvements extrêmement bien dansés, humour, partage, complicité et surtout ne se prenant pas au sérieux, il construit et déconstruit son parcours tout en terminant sur cette phrase : « où pourrait se trouver la danse ? »

Je suis lent, une conférence dansée pleine d’humilité et de dignité qui réveille les fantômes de danses cachées, évoque les hiérarchies d’un microcosme artistique et dévoile d’un geste et de mots toute la fragilité d’un artiste. Un réel bonheur !

Sophie Lesort

Spectacle vu à l’Atelier de Paris le 10 juin 2018

June Events jusqu’au 22 juin

 

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