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« HS » de Katalin Paktaï

La chorégraphe met directement en scène sa relation avec son fils, âgé de 6 ans ; et refait de l'interprétation le sujet d'un grand trouble.

« Se concentrer » : lorsque Katalin Paktaï prononce cela en scène, elle fait du Paktaï. Elle dit : « se con... », suspend son souffle, pour, seulement après, lâcher : « centrer ». Elle a dit le gros mot : « con ». Ah mais non. Elle parlait danse : « centrer ». L'importance de se centrer. Il faut faire avec ce genre d'humour. Souvent, dans les spectacles de Katalin Paktaï, on est sommé de s'esclaffer, faire léger au prix de la lourdeur. Alors on se désole d'y voir altérées des idées qui semblaient originellement fortes. Exemple : dans MILF, Katalin Paktaï portait en scène la matière physique de la grossesse : magnifique projet, que d'user des outils de la chorégraphie pour traiter de cet état extrême du corps et de ses enjeux. Là encore, il fallut sombrer dans le foutraque.

Tout cela pour dire qu'on ne s'est rendu que sur la pointe des pieds, au Théâtre de la Reine blanche (Paris 18e), cédant à l'insistance de Sabrina Weldman, programmatrice du festival ZOA, comme en embuscade. Il s'agissait de découvrir HS. On savait que Katalin Paktaï y évoluait en scène, accompagnée de son propre fils, Ernesto, six ans. De quoi craindre le pire : le thème de l'enfance dégouline très vite quand on en fait spectacle. Et la personne de l'enfant y court le risque d'être abusé par l'adulte tout-puissant, manipulé telle une marionnette. Une marionnette, plutôt une mascotte, il y en a une dans HS. Elle ressemble d'assez près à Ernesto, six ans. De manière délicieuse, à un moment du spectacle, Ernesto arrachera la perruque de ce double marionettique. Il s'en fera un masque, collé sur son visage, fantastique sous ses propres cheveux. Car voilà, Ernesto est un interprète de HS. Et non une marionnette abandonnée à sa manipulation. Assez vite, on oubliera qu'il y a une marionnette, là sur le plateau, qui lui ressemble, en plan B.

Ernesto joue. Manifestement, il se régale à faire spectacle sur un plateau. Mais au fait, que fait tout interprète en scène ? Il joue. A quel niveau situer ce jeu ? Qu'un enfant de six ans s'en mêle, et le statut du jeu scénique se brouille. Fait-il l'acteur, le danseur, jouant à jouer, comme les grands ? C'est sa part d'interprète. Tout autant, il semble jouer, ici ou là, au sens premier : céder à l'impulsion, s'émerveiller tout entier, tester les sortilèges du monde, s'emballer par foucade, s'élancer au hasard, et confondre son monde à coup d'éclats de justesse désarmante. Tous les enfants font cela, en leur chahut peu formaté.

La beauté de HS se joue dans ce trouble sur le sens du jeu, son instabilité, son indétermination. Ernesto est-il lui-même ? Est-il un interprète ? Ces deux notions s'opposent-elles ? Qu'est-ce que faire jeu de soi ? En artiste de la scène ? Dans la vie banale ? Ces questions passionnent l'attente contemporaine pour la danse, la performance. Katalin Paktaï a la force d'y ramener l'évocation de sa propre expérience de l'enfantement. Elle avale Ernesto, dans sa jupe, et l'aimante dans ses positions physiques audacieuses, presque gymniques. Katalin Paktaï a la sagacité d'y laisser exciter sa propre enfance, le souvenir de ses rêves de danseuse classique empêchée. Elle tourne, tourne, tourne, sur ses pointes, dans un ballet d'obscurité, qui pourrait tout autant relever d'un cauchemar.

A ce stade, on a largué les amarres. On ne sait plus trop que maîtriser ou pas de son propos. On est déjà ailleurs, dans la part turbulente, enfantine, de soi. Le plateau de HS est un petit chaos. On ne sait jamais ce qu'Ernesto va bien pouvoir y inventer. Pas plus sa mère. Celle-ci fait feu de tout bois ; s'accroche à toutes les branches. Et vas-y dans le calembour ; et encore le pastiche d'adresse participative au public. Ces ficelles pourraient irriter. Tout pourrait se casser la gueule. Mais dela produit, et file, et rebondit. Une force du devenir – devenir mère, devenir enfant – se saisit de HS, l'emporte en des recoins insoupçonnés ; et nous avec.

Gérard Mayen

Spectacle vu le dimanche 16 octobre 2016 au Théâtre de la Reine blanche, dans le cadre du festival ZOA.
Celui-ci se termine ce jeudi 20 octobre à Micadanses, avec deux créations : Amorce, de Bleuène Madelaine, et Les plans de notre foyer, de Florian Pautasso.

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