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Hommage à Marie-Thérèse Allier

La fondatrice de la Ménagerie de Verre, Marie-Thérèse Allier est décédée le 26 mars à l'âge de 91 ans. Elle avait créé plus qu'un lieu, un mythe et en lançant le festival les Inaccoutumés, va donner une visibilité essentielle à toute une génération.

Marie-Thérèse Allier portait d'épaisses lunettes qui lui mangeaient une bonne partie du visage ; et ces lunettes résument assez bien le talent de celle qui a créé, en 1983, avec la Ménagerie de Verre, l'un des mythes de la danse contemporaine française. Ces lunettes étaient nécessaires, mais lourdes et gênantes, alors, au lieu de s'en lamenter et de les dissimuler, Marie-Thérèse Allier les revendiquaient. Arborant crinière de lionne, ébouriffée et de préférence en pétard, et grosses lunettes, la patronne de la Ménagerie de Verre avait su se construire une silhouette qui valait signature. Et ces lunettes illustrent une certaine méthode Allier, une capacité à faire d'une faiblesse une force !

Cela commence juste après guerre, dans l'effervescence de ce que l'on a pu appeler « Le Nouveau Ballet ». Dans le sillage des Janine Charrat et Roland Petit, la jeune Marie-Thérèse se lance dans la danse. Elle en est déçue et s'engage du côté, alors très embryonnaire de la danse moderne. Un peu par chance et sans avoir de projet clairement établi, elle découvre, au 12-14 rue Léchevin, une ancienne imprimerie qui, parce qu'elle avait été le site des agendas Mignon, produit très « chic et comme il faut » avait été particulièrement soignée au plan architectural. La façade, brique rouge et vitrage, possède un certain cachet art-déco et la superbe verrière – aujourd'hui classée – forme un véritable puits de lumière au centre du bâtiment. Avec cet aplomb certain dont elle n'a jamais manqué, elle défend un projet au modèle économique assez imprécis auprès d'un banquier séduit qui lui accorde un prêt d'un million de francs et, eu égard à l'architecture, la nouvelle propriétaire baptise son antre « La ménagerie de verre ». C'est en 1983 que Marie-Thérèse Allier ouvre donc ce qui va devenir l'un des lieux symboles de la danse en France. La dame n'est guère disserte sur sa « vie d'avant » et il faut mesurer que ce projet qui va être celui d'une vie arrive à cinquante ans passés… La « Ménagerie » n'est pas un emportement de jeune fille, mais l'aboutissement d'un parcours.

Le lieu permet d'installer trois studios qui deviennent les rendez-vous incontournables de tous ceux qui cherchent alors à danser autrement. La Jeune Danse est alors sortie des limbes de l'avant-garde, les Centres Chorégraphiques Nationaux existent de fait mais n'ont pas encore été institutionnalisés, le CNDC d'Angers, lui, est en pleine activité… Or, la Jeune Danse est d'abord une aventure pédagogique. Comme à Avignon où les Hivernales naissent d'artistes-pédagogues qui demandent à montrer leur travail créatif, la Ménagerie accueille des chorégraphes qui enseignent et demandent à pouvoir poser leur baluchon. Les bureaux vont se remplir. Marie-Thérèse Allier parlait de la Ménagerie comme d'une maison et force de reconnaître que dans ces lieux se forgèrent quelques fidélités indéfectibles, comme avec Daniel Larrieu. « En gros, comme nous n’avions pas d’argent et les compagnies non plus, personne ne payait », s’amusait la maîtresse des lieux, ce qui n'était pas tout à fait juste, mais dans l'esprit du temps. Évidemment, comme les compagnies s'établissaient pour des résidences : « je ne faisais pas du tout de programmation, sauf les lundis où je présentais le travail d’une compagnie quelle qu’elle soit. Au bout de deux ou trois ans, ça devenait un fourre-tout. J’ai arrêté ». Il est juste de reconnaître qu'il ne s'agissait pas de « programmation » au sens fort, mais le lieu bruissait aussi de création.

La grande rupture arrive en 1996. La Jeune Danse connaît une crise profonde, une jeune génération se lève. Elle travaille aussi – comme la précédente – à la Ménagerie et la petite histoire raconte que c'est Jérome Bel qui incite Marie-Thérèse Allier à se lancer dans la programmation. Ce sera le festival Les Inaccoutumés. Le sous-sol, un ancien garage, bas de plafond, profond, étrange, au sol en béton va accueillir toute une génération et façonner cette esthétique que l'on va appeler la Non-Danse. La programmatrice reconnaissait « le travail ne ressemble pas à celui que l'on rencontre en général. De toute façon, notre lieu ne permet pas de programmer les blockbusters » ; manière encore de retourner une faiblesse en force. Certains mauvais plaisantins d'alors, dont le présent signataire de ces lignes, affirment en rigolant que si la « Non-Danse ne bouge pas, c'est que dans le sous-sol de la Ménagerie on ne peut pas danser ». C'était aussi reconnaître l'importance prise par le lieu et l'indéfectible relation de Marie-Thérèse Allier avec les artistes qu'elle soutenait.

Pas d'angélisme cependant. Contrairement à une image trop facilement propagée, la Ménagerie n'a jamais été une œuvre de bienfaisance. La liaison avec les tutelles a été très forte. Les bureaux de la rue Léchevin vont ainsi accueillir l'association de préfiguration du CND dans son volet de pédagogie qui y acquitta un confortable loyer (et l'idée d'un CND a cet endroit n'était peut-être pas si bête !) et quand Pantin fut prêt à accueillir l'institution, le lobbying de la Ménagerie fut intense. A preuve le rapport remis le jour de la fameuse conférence de presse du 13 octobre 2005 tenue par le ministre Renaud Donnedieu de Vabre. Il y est écrit : « Le ministère de la culture subventionne également des espaces de production sous forme associative et fondés par des personnalités militantes pour une plus grande reconnaissance de la danse et notamment des jeunes auteurs. C’est le cas du Regard du Cygne et de la Ménagerie de Verre qui a su rester, depuis vingt ans, un lieu emblématique de la jeune danse, toujours renouvelé. Une convention est en cours de signature sur les bases d’un projet artistique élaboré par sa directrice Marie-Thérèse Allier. L’Etat, qui soutenait la Ménagerie de Verre à parité avec la Ville de Paris, a décidé d’augmenter significativement sa participation au fonctionnement de ce lieu alternatif, afin de lui offrir une meilleure autonomie et de conforter son projet artistique. Les chorégraphes Rachid Ouramdane et Julie Nioche (compagnie Fin Novembre) sont actuellement en résidence dans les studios de la rue Léchevin. » 

Cette énergique autonomie s'est maintenue au prix de quelques contorsions. Être administrateur de la Ménagerie demandait la dévotion d'une carmélite, la souplesse d'un maître Yogi tibétain et la sagesse d'un bonze et un tel œcuménisme n'est guère fréquent dans l'administration culturelle, d'où quelques démêlées. Mais le symbole et l'activité de la Ménagerie était devenu tel qu'il n'était plus question de faire preuve vis-à-vis du lieu des exigences que DRAC ou Ville purent avoir pour d'autres.

Aujourd'hui la Ménagerie semble protégée. Un fonds de dotation est chargé d'assurer « la pérennité de son action ». De sa faiblesse, Marie-Thérèse Allier a encore une fois su faire une force. Et doit bien rigoler derrière ses grosses lunettes.

Philippe Verrièle

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