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Hommage à Carla Fracci

« La Fracci e morta » et pour l'Italie, c'est une icône qui disparaît. Car au-delà de la tragédienne de la danse qui a marqué le rôle de Giselle, la grande ballerine est aussi le symbole d'une renaissance. 

Pour comprendre l'émotion du monde de la danse italienne à l'annonce de la mort de Carla Fracci, le 27 mai dernier, à Milan, à l'âge de 84 ans, il suffit de se reporter à un vieux numéro d'un ancien magazine de danse français. En juin 1972, Irène Lidova écrivait : « Que de ballerines illustres le ballet italien n'a-t-il pas offert à la danse mondiale, aussi bien à l'époque romantique que pendant les années fastes du palais impérial russe, à la fin du siècle dernier ? Les noms des italiennes sont principalement liés aux créations célèbres du répertoire classique : la Taglioni ne fut-elle pas la première Sylphide et Carlotta Grisi la première Giselle ? Ce fut Pierina Legnani qui inspira à Marius Petipa les variations du Lac des Cygnes, tandis que Carlotta Brianza a fait triompher la première Belle au bois dormant à Saint-Pétersbourg.

Depuis, le ballet italien a perdu de son prestige et l'école, pourtant célèbre, de la Scala de Milan, ne produit plus de danseuses légendaires. Aujourd'hui l'Italie ne possède qu'une seule ballerine de renom international, Carla Fracci, éclose comme une fleur rare dans un théâtre où le travail créatif est quasi inexistant dans le domaine du ballet. » [Les Saisons de la Danse N°45, juin 1972]… 

Pour les amateurs italiens, outre une tragédienne magnifique de la danse, la Fracci signifiait aussi cette renaissance. 

Sa vie concourait à alimenter ce sentiment. Née Carolina Fracci le 20 août 1936 à Milan, elle est, très jeune, victime des conditions de vie de la seconde guerre mondiale : « Je suis née peu avant la guerre, puis nous avons été déplacés à Gazzolo degli Ippoliti, dans la province de Mantoue, puis à Crémone. Papa, on pensait qu'il avait disparu en Russie  ...  après la guerre, nous avons déménagé dans une maison communale à Milan, quatre personnes dans deux pièces » confiait-elle. 

La jeune fille rêve d'être coiffeuse et pas du tout danseuse. Mais remuante et enjouée, elle est présentée au concours de la Scala en 1946…

Et le destin se déclara ainsi car la jeune fille va être dorénavant intimement associée à la grande maison milanaise  qui n’est alors pas au mieux de son tonus chorégraphique (et même architectural, bombardée qu'elle fut au cours des bombardements d'août 1943)… 

Certes, dès la réouverture, en 1946, Toscanini avait confié un rôle clef au fantasque chorégraphe hongrois Aurel Milloss, mais malgré la mise en place des premières soirées spécifiquement consacrées au ballet, cette relance reposait surtout sur des artistes étrangers (Chauviré, Lifar, Fonteyn)… Il manquait un nom, ce fut Carla Fracci. Luchino Visconti la repère dans Passo d'Adio, mais son apparition, dans le Cendrillon d'Alfredo Rodriguez en 1956, sonne comme l'incarnation de cette renaissance de la danse italienne. En 1958, elle est déjà Prima Ballerina.

Au départ modeste technicienne, mais déjà d'un lyrisme et d'une intensité remarquables, belle, l'élève de Vera Volkova -d'où ce mélange d'école pétersbourgoise et italienne- va se remettre au travail avec acharnement, acquérir cette maîtrise qui lui échappait et pouvoir ainsi interpréter tous les grands rôles du répertoire. Elle fut l'une des partenaires du jeune Rudolf Noureev tout juste arrivé en occident.

Avec Erik Bruhn, elle va incarner une Giselle qui filmée, va devenir une référence (1969). 

Tout n'est pas idyllique cependant et la demoiselle possède un tempérament certain. En 1963, elle claque la porte et va participer aux spectacles que monte son mari, Beppe Menegatti (épousé en 1964 et dont elle aura un fils), dans toute l'Italie mais surtout, en 1967, « La Fracci » est danseuse invitée de l'American Ballet Theatre et voit sa renommée croître grâce à ses interprétations de rôles romantiques et dramatiques. Figure de la culture populaire italienne, jouant dans un feuilleton télévisé (elle tient le rôle de Giuseppina Strepponi, soprano et seconde épouse de Giuseppe Verdi) elle va tenter, à partir des années 1980, de faire évoluer les grandes compagnies de son pays. On la voit beaucoup au San Carlo de Naples, de 1996 à 1997 elle dirige le corps de ballet des Arènes de Vérone, puis, entre 2000 à 2010, le ballet du Teatro dell' Opera di Roma…

Force est de reconnaître que son succès ne fut pas, sur ce terrain, comparable à celui qu'elle avait rencontré sur scène et, à la fin de sa vie, elle exprimait encore le regret de n'avoir jamais pu diriger le ballet de la Scala.

Mais le public italien ne lui tenait absolument pas rigueur (et en était-elle comptable ? ) de ne pas parvenir à lever toutes les lourdeurs ; il y eu d'autre grandes danseuses italiennes, Luciana Savignano, Alexandra Ferri, etc…, mais « La Fracci » a gardé jusqu'au bout l'image d'une fille du peuple d'une grande générosité (ambassadrice de bonne volonté de la FAO) à travers laquelle on lisait la renaissance et l'incarnation d'une certaine âme italienne qui danse. 

Philippe  Verrièle

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