« HIP 127 » de Jérôme Thomas & Martin Palisse
Jonglage chorégraphique, orchestre et chanteuse lyrique: La complexité de La Constellation des cigognes.
Jérôme Thomas se réjouit : « Dix ans après Rain/Bow, l’Opéra de Limoges, Alain Mercier et Martin Palisse me font la formidable proposition de créer un nouveau ballet jonglé contemporain ». De quoi remettre en jeu certaines définitions...
Figure-clé du jonglage contemporain, Thomas a exploré cette discipline circassienne sous tous les angles et en a fait un langage à part entière. Il a formé d’innombrables jongleurs créateurs, dont Martin Palisse qui a fondé, en 2002, sa propre compagnie de recherche sur la jongle: Cirque Bang Bang. Aujourd’hui Palisse dirige Le Sirque à Nexon, l’un des douze Pôles Nationaux des Arts du Cirque (PNAC).
En travaillant ensemble, les deux peuvent donc viser haut, très haut. HIP 127, La Constellation des Cigognes est un opéra contemporain jonglé, ou bien, inversement, du « jonglage lyrique ». Les dimensions du titre reflètent la complexité de l’entreprise : Il faut ici chorégraphier un groupe de jongleurs et une chanteuse, à l’intérieur d’une œuvre d’art plastique et visuelle, en répondant à une création musicale contemporaine! S’y ajoutent, pour ne rien simplifier, des textes suggérant quelques hauteurs poétiques plutôt piégées.
Jongler l’utopie
Cette constellation se rapproche donc du fameux « spectacle total », catégorie dont on sait bien qu’elle est une utopie, jamais atteinte et pourtant jamais abandonnée. Chaque échec à réaliser le « spectacle total » constitue une expérience enrichissante. Le cirque contemporain contribue beaucoup à cette collection de tentatives, par son ouverture vers les arts visuels et numériques, plastiques et autres, et bien sûr vers la danse.
La Cigogne, écrit Jérôme Thomas, est « une application corporelle symbolique, une assise et un port de bras particulier, qui caractérise une ligne esthétique à la fois élégante et animale. » Les unissons, présents tout au long du spectacle, sont basés sur cette image. D’où une grande unité, du début à la fin, alors que le spectacle se décline à travers quatre tableaux présentant quatre sous-disciplines d’un art de la piste ouvert à toutes les surprises. Chacun met en valeur un objet : Bâtons, balles, plumes, cerceaux. Car sans objets, pas de jonglage (sauf en jonglage virtuel, mais il s’agit là plutôt de jonglistique).
Balade sur les ondes
On pourrait y voir les quatre saisons... Sauf que Roland Auzet n’est pas parti sur les pas de Vivaldi et n’a pas composé quatre concertos mais bien plus, et ce dans un florilège de styles qui ne représentent, contrairement à l’univers visuel, aucune unité. Par des basculements imprévisibles, Auzet nous invite comme pour une balade sur les ondes, où l’on passe d’un univers wagnérien à des ambiances à la Dutilleux, de Schubert au contemporain... Des musiques comme chien et chat, qui s’écoutent en faïence.
Dans la fosse : L’Orchestre de l’Opéra de Limoges, dirigé par Daniel Kawka(1). Sur le plateau: Angèle Chemin, chantante et enchantante, soprano face à quatre jongleuses et trois jongleurs, engagés dans des unissons qui font penser à un chœur d’opéra. Et on y apprend à quel point jonglage et danse sont frère et sœur, mais pas forcément complices. Pour le jongleur, les objets sont ses agrès. Ils imposent leur lois et limitent la liberté gestuelle ainsi que la théâtralité, sauf chez des personnalités singulières comme justement Jérôme Thomas (mais il n’est ici pas sur le plateau).
La loi des objets
Pour que la musicalité du geste jonglé puisse investir une écriture chorégraphique autonome, il faudrait d’abord le libérer de l’objet et travailler sur le mouvement seul, pour atteindre des zones de liberté, et ensuite présenter le geste technique comme un aboutissement de cette recherche chorégraphique.
Dans la magnifique scénographie circulaire, suggérant les profondeurs métaphoriques d’un lac, la légèreté d’une voûte céleste ou la poésie d’un espace onirique, il manque à ce corps de ballet les solistes puisque c’est eux qui écriraient de possibles narrations, dont on nous propose ici uniquement les parties chorales et la beauté visuelle. Car de même qu’une cigogne ne fait pas le printemps, une soprano seule ne fait pas un opéra.
Le jonglage impose aussi son propre rythme, assez fluide mais peu variable (surtout dans une pièce comme celle-ci). Aussi est-il en osmose avec certains registres musicaux, mais pas avec tous, sans que la confrontation de deux énergies opposées puisse ici dynamiser la dramaturgie. Le supplément d’âme dramatique devra venir des interprètes, quand ceux-ci auront pris possession de la matière chorégraphique du spectacle, pour mettre dans la balance plus de personnalité et de présence, au-delà du jonglage.
Thomas Hahn
Spectacle créé le 4 octobre 2016 à l’Opéra de Limoges
Mise en scène et chorégraphie : Jérôme Thomas et Martin Palisse
Création musicale : Roland Auzet Jonglage : Audrey Decaillon, Viola Ferraris, Florence Huet, Stefan Kinsman, Ria Rehfuss, Alexis Rouvre, Daniel Sanchez Chant : Angèle Chemin Lumière : Bernard Revel
Scénographie : Bernard Revel et Martin Palisse Costumes : Emmanuelle Grobet
En tournée (1):
27 et 28 octobre 2016 : AUCH, Festival du cirque actuel de Circa, Pôle National des Arts du Cirque
15 novembre 2016 : ALBI, Scène Nationale d’Albi
12 et 13 janvier 2017 : BOULAZAC, Agora,Pôle National des Arts du Cirque
31 janvier et 1er février 2017 : MARTIGUES, les Salins Scène Nationale - Biennale Internationale des Arts du Cirque/Archaos - Pôle National Cirque Méditerranée
7 février | 20h30 et le 8 février 2017 : AMIENS, Cirque Jules Verne, Pôle National des arts du Cirque et de la rue, co-accueil Comédie de Picardie
9 février 2017 : MAUBEUGE, Le Manège, Scène Nationale
1er avril 2017 : ARGENTAN Quai des Arts - Festival Spring / Plateforme 2 Pôles Cirque en Normandie
4 mai 2017 : ARCACHON, Théâtre Olympia
(1) En tournée, la musique sera enregistrée.
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