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« Into the Hairy » : Création mondiale de Sharon Eyal à Montpellier Danse

L’Israélienne livre une pièce sombre, dans un univers renouvelé. Eyal ferait-elle sa mue ?

Into the Hairy : Les cheveux n’ont pas bonne presse en anglais. Au-delà du sens concret, hairy véhicule l’idée d’une situation redoutable car difficilement extirpable ou autrement désagréable. En somme, une affaire épineuse. Into the Hairy : allons-y donc malgré tout ! Il se trouve qu’on croyait Sharon Eyal engagée sur une route vers un apaisement et plus de sérénité, d’autant plus qu’on venait juste de voir à Paris, au Théâtre des Abbesses, la compagnie allemande Tanzmainz pour laquelle l’Israélienne avait récemment créé Promise, un superbe septuor exprimant l’excitation joyeuse des retrouvailles après les confinements. 

En créant à Montpellier Danse de nouveau un septuor, cette fois avec sa propre compagnie L-E-V, Eyal fait tout, dans les premiers tableaux, pour insinuer que son espérance continue à fleurir. Derrière un rideau de gaze, traversant un brouillard surréel, on danse en cercle et en harmonie jusqu’à former une fleur qui s’ouvre et se referme. Le public découvre alors une Eyal inspirée par la nature et un paysage sonore harmonieux. Rien à voir avec la techno d’Ori Lichtik qui était un repère apparemment immuable, tout autant que les unissons de corps soudés qui définissaient l’univers de la chorégraphe. Qu’on se rassure, même s’ils se réinventent ils n’ont pas complètement disparu…

Ballet de gestes

Par contre, le DJ et compositeur Koreless, change la donne d’une manière radicale. Connu des adeptes pour avoir enflammé divers festivals musicaux, le jeune artiste britannique a conçu un paysage sonore spatialisé où le cœur balance entre une boîte à rythmes – de plus en plus impitoyable au cours de la pièce – et la douceur d’instruments à cordes africains et méditerranéens. un sentiment aquatique envahit l’espace sonore, comme pour nous amener vers l’espace douillet d’une grotte. Eyal annonce par ailleurs vouloir travailler avec Koreless bien au-delà de ce septuor, ce qui pourrait annoncer une redéfinition en profondeur de son écriture, même si elle n’exclut pas de retrouver Ori Lichtik sur son parcours. 

Au début d’Into the Hairy, dans une ambiance bucolique, se dessine un ballet de mimes, de pantins et de gestes où les individus sont libres et communiquent chacun avec les autres, sans avoir besoin de se rapprocher ou se toucher. Cette société originelle va cependant s’organiser et hiérarchiser, voyant un leader se détacher du groupe. A partir de là, semble-t-il, leur sort est scellé. La danse, stylisée et sur demi-pointes – un des domaines de la forte exigence technique chez Eyal – prend des airs de plus en plus expressionnistes, voire fantomatiques. Les mouvements se font plus restreints et contraints que jamais, mais le rapport à l’espace tend un peu plus vers celui, sans hiérarchie, fondé par Cunningham. 

L’ombre de la guerre

Arrive le moment où Koreless, en vrai collagiste sonore, frappe avec des citations de guerre aérienne. Et de nouveau un homme se détache, maintenant dans un solo virulent, traduisant un état d’urgence absolue, telle une mort imminente. De haut en bas, une lumière rouge envahit l’espace. Tout ralentit ou se fige, du couple dansant face à face au ballet mécanique et vertical de l’ensemble. Très chargés d’énergie retenue, les ralentis semblent annoncer une explosion imminente, alors que des ambiances très graphiques rappellent tout un pan de l’art expressionniste, produit sous le choc des guerres mondiales. Comment alors ne pas penser à la montée de la violence, du fascisme et au retour de la guerre ? 

Avec Into the Hairy, dans un acte qui exige sincérité et courage, Sharon Eyal déjoue les attentes du public et sans doute aussi celles des programmateurs du paysage chorégraphique. Aussi elle réinvente son style, son rapport au groupe et à l’espace pour revenir à un sentiment plus sombre, à l’instar de ses premières pièces liées aux comportements obsessionnels. Mais cette nouvelle création permet une lecture passant de l’intime au politique, ou encore d'y tracer le passage d’une dimension naturelle et animale – hairy, c’est aussi : poilu – à un ballet de plus en plus mécanique. On y fait donc le chemin inverse de la tendance récente dans les œuvres de la chorégraphe qui – on l’a appris à Montpellier Danse – vient d’élire domicile en région parisienne. N’oublions pas non plus sa collaboration renouvelée avec Maria Grazia Chiuri – autrement dit, la maison Christian Dior Couture – pour les costumes. Mais à travers le brouillard, on les a peu vus. 

Thomas Hahn

43festival Montpellier Danse

Le 22 juin 2023, Opéra Comédie

Chorégraphie: Sharon Eyal, Co-créateur: Gai Behar
Danseurs: Darren Devaney, Guido Dutilh, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Keren Lurie Pardes, Nitzan Ressler
Musique originale: Koreless
Costumes: Maria Grazia Chiuri – Christian Dior Couture
Conception de l’éclairage: Alon Cohen

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