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« Gloria » de José Montalvo

La création de Montalvo ressemble tellement à du Montalvo que l'on pourrait passer à côté de son originalité et même de son orientation. Car Gloria est orienté et cette construction rigoureuse exprime mieux que bien des discours l'obstination dont a su faire preuve un chorégraphe qui ne manifeste pas volontiers rage ou colère. 

Car voilà du Montalvo pur jus, avec tous les accessoires du genre… ceux-là même que le signataire du présent papier moquait en écrivant « Il y a deux façons de voir la nouvelle pièce de ce chorégraphe. La première tend à grognasser sur la redite et le caractère très naïf du message. Tout le monde il est beau, les étrangers peuvent partager leur danse et échanger leur musique sans hésitation. Les beurs hip-hopeurs avec les black africains traditionalistes, les ballerines classiques et les contemporaines ultra toniques venues de Côte-d'Ivoire,[…]. Et à la fin, tout le monde vient chanter ensemble à l'avant-scène et c'est vraiment too much… » Et la seconde vient des candides naïfs qui « trouveront au contraire que cette pièce pleine de gaieté et de clins d'œil où la vidéo mêle danseurs et animaux parfois totalement improbables, où le sketch surréaliste […] interrompt l'énergie folle d'une danse lancée à fond de train, possède un optimisme et une santé contagieuse. » C'était pour Babelle Heureuse à la Maison de la danse de Lyon en 2002 ! A fort peu de choses et vingt ans plus tard, la description colle parfaitement à Gloria, nouvel opus du Monsieur ! Cela pourrait s'appeler un style installé dans la durée et une certaine persévérance et cela explique les réactions très convenues qui accompagnent cette pièce. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Pourtant une nuance affleure dans le présent opus.

Gloria appartient à la catégorie rassurante des pièces orientées. Entendre que les entrées s'y déroulent en respectant scrupuleusement une orientation et en ne s'en écartant pas. Toutes choses égales par ailleurs, Fearful Symmetries (1988) de Peter Martins reste l'un des modèles de ce genre de construction. Plus près de nous, elle est exploitée par des artistes aux styles très divers, comme par exemple Promenade Obligatoire (2012) d'Anne Nguyen dans le registre hip hop. Dans le cas Gloria, les seize interprètes entrent successivementpar l'une des coulisses de cour, s'avancent vers le micro juché en haut de son pied en devant de scène toujours à cour, et racontent leur histoire ou une anecdote parlante. Puis d'un grand geste ils lancent la musique et une variation par laquelle s'expriment une rage de danser et une virtuosité que les normes sociales et les contraintes auraient interdites si chacun d'eux n'y avait résisté. Clair, simple, efficace : la formule fatiguerait assez vite sans le groupe, en fond de scène à jardin, qui, statique ou commentant comme un chœur attentif, marque le contrepoint à la confession d'autant plus fort que repris par la vidéo… Le dit groupe se déploie alors en grand sur la moitié du fond de plateau, toujours à cour, formant le décor mouvant des histoires individuelles. Dispositif éprouvé mais qui a le mérite de rappeler la pertinence de la dialectique entre la danse, individuelle, rebelle et revendicatrice et la chorégraphie (doit-on rappeler que ce mot signifie, étymologiquement, « écriture du chœur ») collective et construite comme l'expression d'un corps social. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Les propos des interprètes, récits de luttes où l'on croise la majorité des clichés portant sur la danse : "Toi, tu es trop grosse", "Toi, tu es trop petite", "Tu veux faire de la danse, tu feras l’armée", "Tu n’y arriveras jamais", "Tu veux donc être pauvre ?", importe moins que leur systématisme. Répétés selon ce même protocole obstiné et orienté, ils constituent autant de slogans d'une manifestation unique : une rage de danser qui fait écho au fameux « dansez, sinon nous sommes perdus » de Pina Bausch explicitement cité dans la pièce. Il ne s'agit pas tant de la « fierté de danser », revendiquée comme une manifestation de la liberté de chacun, de danser comme un homme du flamenco mais en rappelant la mémoire de Carmen Amaya, de danser en refusant la virtuosité mais en n'oubliant pas que le ralenti exige souvent plus de maîtrise que la vitesse, de danser le piétinement mais en s'imposant le silence, de danser en robe quand on est un homme, mais d'assurer un besoin existentiel. En somme, ces anecdotes constituent l'écume d'une furie plus intense chez Montalvo, auquel la rage sied assez peu. 

Il y a la vidéo. Comme toujours, elle joue brillamment du bestiaire usuel chez le chorégraphe où les éléphants éléphantisent et les pingouins manchotent… Rien de nouveau. Et l'on tomberait encore dans ce bouillon de bons sentiments écologico-complaisants dans l'air du temps sans sa construction obstinée. Toujours le retour de la persévérance à danser, ce qui ne constitue à l'évidence pas une réponse à l'extinction des espèces. En revanche, tout dit la force de la pulsion de vie présente dans la danse, qui revient toujours par le même chemin, écarte les obstacles, et du singulier révolté fait un collectif de danseurs.

Galerie photo © Laurent Philippe

La genèse, pour le moins contrariée, de l'œuvre pourrait expliquer cette revendication existentielle tant la naissance de Gloria fut difficile. Ce devait être une manière de comédie dansée, ce fut un chemin de croix. Les répétitions de mars 2020 ayant été annulées pour cause de COVID, et partant la création qui devait suivre, la pièce faillit exister par deux fois sous forme de représentations réservées aux professionnels, sinon que les cas récurrents de malades dans l'effectif repoussèrent la création au 9 septembre 2021. Et sans préjuger des accidents et remplacements de danseurs… Il fallut une véritable rage de danser pour que cet opus voit le jour et une façon de revenir encore et toujours sur le plateau, par le même chemin jusqu'à ce que Gloria se fasse. 

Peut-on alors accorder à Montalvo, jeune homme de presque soixante-dix ans, quitus de son obstination à danser et gager que la prochaine création verra de nouveau l'opposition des grognons et des candides sur fond d'éléphants en vidéo. Et ce sera très bien ainsi.

Philippe Verrièle

Vu le 21 octobre 2022 à La Villette / Théâtre de la Ville hors les murs, Espace Chapiteau.

 
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