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« Gland » de Kat Válastur

L'espace constitue-t-il une donnée intangible ? Ou bien relève-t-il lui aussi des conventions de la représentation spectaculaire ? Est-il relatif, entre autres, aux paramètres fluctuants du régime perceptif ? Dit plus simplement : l'espace dépend-il, lui aussi, de la manière dont on l'envisage ? L'air de rien, ce genre de questions faisait chauffer le débat esthétique au tournant des années 2000 dans l'Hexagone chorégraphique, quand s'affrontaient les tenants des supposés fondamentaux de la danse d'une part, et les déconstructeurs des attendus performatifs de la représentation d'autre part.

Ce sont ces derniers qui seront comblés, s'ils ont l'occasion de découvrir le solo Gland – the marginal sculptures of Newtopia, chorégraphié et interprété par Kat Válastur. Cette artiste grecque installée à Berlin est l'objet d'un mouvement de curiosité de ce côté-ci du Rhin, qui est passé notamment par sa programmation aux Rencontres de Seine Saint-Denis, et actuellement son accompagnement par le festival Uzès Danse et le Théâtre de Nîmes (lire notre critique).

Gland fait vivre au spectateur une expérience perceptive parfaitement inhabituelle ; par là, très riche d'enseignements.

Au début, la danseuse paraît plongée dans un liquide. Ses gestes coulés ont une lenteur décalée, élastique, comme si l'élément alentour leur opposait une résistance. Il faut dire que l'artiste évolue sur un plateau délimité par deux solides parfois qui se referment à angle droit. Plus précisément, sa marche se déroule le buste en appui latéral contre le mur et cela n'est pas pour rien dans l'inclinaison singulière, et la pesanteur accentuée de ses gestes.

Entendons-nous : en fait, c'est bien dans un espace, et non un liquide, qu'est plongé le corps de Kat Válastur. Sa démonstration sera de révéler la plasticité de la matière-espace, contre l'idée naïve que certains peuvent s'en faire en n'y voyant qu'une bulle de vide. Tout corps plongé dans un espace articule une complexité perceptive, et active une multiplicité de liens, de projections, de sens, à profusion ; cela sculptant un volume d'épaisseurs.

Il n'est pas aisé de décrire par les mots la subtile variété de moyens physiques engagés par l'artiste à cet effet. On ne décrira donc qu'une seule séquence, à titre d'exemple parlant. Après avoir parcouru les deux parois dressées en angle, dans sa position debout chahutée, Kat Válastur vient à se coucher sur le plateau. Elle y repose sur son côté, à angle droit du mur, et ses pieds sont donc plaqués contre la partie basse de celui-ci. Depuis cette position, elle se met à avancer en glissant sur le sol. Dès lors, ses pieds miment une marche contre le mur.

Dans cette nouvelle disposition, le spectateur, sagement assis dans son fautueil, a la sensation qu'il surplombe cette personne qui serait en train de marcher en-dessous de lui. Quand les sens renvoient au cerveau l'évidence que le mur est bien en position verticale, la perception, elle, préfère considérer que ce plan vertical est néanmoins devenu un sol horizontal sur lequel quelqu'un est en train de marcher.

On pourrait y voir une astuce d'artifice spectaculaire. Et on l'a déjà vu ainsi. Le hip hop notamment n'est pas en reste pour exploiter ce genre de malicieuse trouvaille. Mais  Kat Válastur évolue dans un autre registre. A partir de ces expérimentations de base, elle se laisse gagner par des proliférations de trajectoires, d'intentions, libérant un flottement éclaté, mais toujours très finement tendu sur la gamme des pré-mouvements. On y ressent un étourdissement savant, qui fait large place à la patiente écoute, l'attente consentie pour ce qui vient, sur un fond musical très économe, tourné vers les structures du son, travaillées dans la profondeur, et non sur la mélodie.

La démonstration est brillante, et on serait totalement conquis si ne dominait, justement, cette sensation d'avoir affaire à une démonstration. Dit plus simplement, Gland fait partie de ces nombreux spectacles dont on est convaincu qu'ils ne produiraient pas moins en optant pour la concision au lieu de le céder au format obligé des soixantes minutes de durée.

Gérard Mayen

Le 7 octobre au Théâtre du Périscope à Nîmes.

Le Théâtre de Nîmes montrera Ah ! Oh ! A contemporary ritual, de Kat Válastur les 17 et 18 novembre 2015. Renseignements : 04 66 36 65 00.

 

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