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Georges Appaix : « Vers un protocole de conversation ? »

Poésie, humanité, philosophie, humour et vitalité : Georges Appaix signe ce qu’on appelle communément « un petit bijou ».

Dans sa dernière création, Appaix fait pétiller les mots et les silences dans un facétieux poème scénique. Derrière la légèreté pointe un rappel crucial. Oui, il est important de savoir se parler. Et ça veut dire, savoir écouter. La perte vertigineuse de la volonté à communiquer (dans le sens d’un échange) justifierait à elle seule que l’on pose cette question : Avons-nous besoin d’un protocole de conversation ?

La danse et les mots auraient tant de choses à se dire. Et si la volonté est là, si elle frappe à la porte de l’autre, plus aucune solitude ne tient, même si le chemin est semé d’embuches qui font chuter et qui font rire. Car entre le corps et la parole, la séduction fonctionne à peu près comme entre les femmes et les hommes.

La proposition est pertinente et va bien au-delà de la rencontre entre le geste et la parole. Mélanie Venino et Alessandro Bernardeschi, placés sous le regard facétieux de Georges Appaix lui-même qui observe, danse et chante (en vérité c’est donc un trio), nous embarquent dans une métaphore joyeuse.

Questionnements

Qu’advient si l’un a envie de converser, et l’autre peine à sortir de sa bulle ? Si l’homme entreprend, et la femme répond par des entrechats ? Est-ce réellement la danseuse silencieuse qui observe moins l’autre ? A qui s’intéresse vraiment celui qui lui parle sans cesse? A elle ou à lui-même ?

Georges Appaix est chorégraphe et danseur, et il représente cet âge d’or avec des chorégraphes aujourd’hui partis (Odile Duboc) ou encore parmi nous mais moins présents (Catherine Diverrès, Régis Obadia, Jean Gaudin, Régine Chopinot…). Il prouve ici que cet âge d’or a encore de beaux restes.

Mais Appaix est également metteur en scène de théâtre. Pas étonnant alors qu’il ne cesse de questionner les possibles relations entre le geste chorégraphique et l’art de la parole. Quels chemins les opposent, quelles énergies les lient ?

La pièce commence dans une complémentarité parfaite entre deux monologues: Alessandro Bernardino en moulin à paroles vs Mélanie Venino et ses jaillissements gestuels. Deux langages, et pourtant un unisson parfait, comme si les deux partaient d’une même source. De tableau en tableau, ce paradis sera perdu, reconquis, reperdu…

Paroles

L’articulation de cette pièce est aussi vive et ses rebondissements aussi imprévisibles que les joutes gestuelles de Mélanie Venino, égérie inspirée, incarnation de fragilité et de volonté à la fois. Et si elle était ici, à la manière d’un personnage allégorique au théâtre, non seulement une femme, mais en quelque sorte, la danse, en tant que telle? Dans ce cas, Bernardeschi serait la parole, et cette pièce une belle preuve de ce que la danse saura toujours se dérober de l’emprise des mots, et que c’est justement ce qui en fait le charme.

Toujours on tentera de l’approcher, et toujours elle nous narguera, pour mieux nous séduire et nous embarquer. Vers où ? Peu importe. Et tant mieux si on fait un bout de chemin vers soi-même. Ici, c’est possible. Peut-être pas tout de suite, puisqu’on est d’abord charmé par chacun des trois et par la balance de leurs relations quand danse, paroles et objets font un indomptable ménage à trois.

Quand la danse, insaisissable, consente finalement à révéler un peu de ce qu’elle est, elle répond en bloc : « Oui. Non. Peut-être ». C’est beau, c’est drôle, c’est poétique et politicien à la fois : Voici m réponse. Quelle était la question ? En effet, on a depuis longtemps oublié ce que l’homme avait pu lui demander (ou pas).

Et puis, après cinquante-cinq minutes de tentatives de conversation, on salue. Charmés, touchés, bouleversés, beaucoup de spectateurs sortent de leur réserve et émettent des sons qui partent de strates très profondes. C’est rare, et c’est précieux. C’est immédiat. Mais il faut savoir attendre. La portée absolue de ce protocole se révélera plus tard, chez chacun, dans son intimité, quand « elle » décidera de parler.

Thomas Hahn

Paris, Théâtre des Abbesses, 18-21 octobre 2016 à 20h30

Conception et mise en scène : Georges Appaix
Chorégraphie et textes : Georges Appaix avec la participation des interprètes
Avec : Mélanie Venino, Alessandro Bernardeschi et Georges Appaix
Lumière : Pierre Jacot-Descombes, son : Eric Petit et Georges Appaix, costumes : Michèle Paldacci

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