« Geminvs » de Rubén Molina et Allister Madin
Comme annoncé par son titre, Geminvs, duo imaginé et interprété par le bailaor Rubén Molina et le danseur de ballet issu de l’Opéra de Paris Allister Madin joue sur la notion de gémellité. La pièce, dont nous avons pu voir une étape de travail en vidéo, sera visible sur la chaîne You Tube de Rubén Molina le 29 avril 2021 à l’occasion de la Journée internationale de la danse.
Le noir et blanc de la captation à laquelle nous avons eu accès, la musique planante de Nils Frahm retenue par les auteurs de la pièce et le néoclassicisme d’ensemble qui se dégage de celle-ci peuvent faire songer au duetto dansé par Margaret Mercier et Vincent Warren, chorégraphié par Ludmilla Chiriaeff, filmé par Norman McLaren en 1968, sobrement intitulé Pas de deux. Le thème est illustré par l’apparence et l’allure identiques des deux protagonistes. Tous deux sont de noir vêtus, bien mis dans leur jean serré et protégés du froid par un pull à col roulé. Tous deux sont barbus comme il est courant dans le contemporain, un peu moins dans le ballet tant qu’on n’a pas atteint, comme dans le cas d’un Robbins ou d’un Béjart, le grade ou graal de chorégraphe – dans le flamenco, c’est rarissime, si l’on excepte Galván, et encore ! à un très bref moment ou des cantaores comme Camarón en fin de carrière et El Cabrero, célèbre notamment pour son look Clint Eastwood période western-spaghetti. Dans la danse contemporaine, on a connu des barbudos castristes, des hipsters pour Ballet du vingt-et-unième siècle, des Chabal, en veux-tu en voilà et même des Santa Claus, dans le cas d’un Larrieu ou d’un Rizzo…
La danse est donc de « frères jumeaux », dans le sens où l’entendait Alexandre Dumas, l’auteur des Frères corses (1844) et, bien sûr aussi, dans celui de Jacques Demy et des sœurs Garnier, autrement dite des Demoiselles de Rochefort (1967) adeptes, on le sait, de l’art de Terpsichore. De fait, les effets miroitants inaugurent l’opus, qui rappellent le vieux numéro de music-hall qu’exploite à merveille Groucho Marx en chemise et bonnet de nuit dans Duck Soup (1933).
Bien entendu, chaque interprète a l’occasion de faire son échappée belle du travail à l’unisson en rompant la symétrie et, du même coup, de parer à la monotonie. L’un fait montre d’une extrême vivacité, l’autre, d’un taconeo des plus efficaces et d’un élégant port de bras. Il va de soi que, dans quelques jours, ces séquences en solitaire, que dans le milieu du ballet on nomme variations seront développées, probablement multipliées.
Le but initial est atteint qui était d’associer deux expressions et univers artistiques fort éloignés de nos jours. Faut-il rappeler que cela n’a pas toujours été le cas ? Une danseuse comme Argentina parvint dans les années vingt à transmuter les folklores régionaux ibériques en un art espagnol atteignant à l’universel. La danse dite « bolera » stylisait de même un art andalou dont les ballets romantiques gardent trace sous l’appellation « danse de caractère ».
Nul besoin n’est ressenti par l’un comme par l’autre d’empiéter sur un territoire inconnu. C’est ce qu’on aurait pu craindre a priori dans la mesure où un bailaorne saurait, en quelques jours, en quelques mois, assimiler le vocabulaire classique. Et, qu’inversement, on ne peut se la jouer Antonio Gades sans avoir été initié par une Pilar López ou un Vicente Escudero. Geminus, à la fois fiction et fusion, prend forme dans la mesure où sont ici respectées l’identité, la technique, la spécialité de chacun.
Nicolas Villodre
Geminus sera présenté le 29 avril 2021 sur la chaîne You Tube de Rubén Molina
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