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Francis Plisson et le festival « Ecoute Voir » à Tours

A la marge des institutions, le chorégraphe indépendant Francis Plisson vient de présenter la septième édition du Festival Ecoute Voir. Une manifestation qui vaut œuvre en elle-même, dans l'art de vivifier les marges.

Vu de Paris, du point de vue de la danse, qui pense Tours pense Centre chorégraphique national, aujourd'hui dirigé avec succès par Thomas Lebrun. C'est bien légitime. En marge de quoi, on se demande ce que peut signifier le festival Ecoute Voir, avec ses trois soirées pas plus, qui ne met sur la table qu'un budget artistique de 14.000 euros. Pourquoi s'entêter ainsi ? Il fallait aller y musarder.

Ce samedi 12 janvier, en milieu d'après-midi, cela signifiait de se faufiler dans un quartier excentré, commune de La Riche. Là, non sans mal, deviner le chemin de la Chapelle Sainte-Anne. On en est récompensé. Sous les voûtes médiévales, les frises sculptées, niche une galerie d'art, soigneusement indépendante. Les sculptures d'Olivier de Sagazan, sépulcrales, redonnent au lieu sa dimension sacrée. Rappelant des momies, ces œuvres ont le pouvoir obscur et fascinant de donner vie à des visions fantasmatiques de dépouilles mortuaires.

Cela n'est pas rien, dans un festival inspiré par un chorégraphe, Francis Plisson : la question des corps, leur mode de présence, sera partout avivée. On retrouvera plus tard Olivier de Sagazan, d'une toute autre façon, très percutante (cf. ci-dessous). L'heure est d'abord au recueillement, quand dans la salle voûtée du sous-sol, le quatuor Watt égrène les notes tenues strictement, jusqu'à l'infini, hors toute mélodie, de quatre clarinettes. C'est plonger dans la vibration pure.

Le festival Ecoute Voir – son nom l'indique – tient beaucoup à la musique. Une certaine musique. Tours est le siège du Petit Faucheux, trente ans cette année, haut lieu de référence pour le jazz d'improvisation et d'exploration. Il y a là un milieu ouvert, curieux, tenté par toutes les expérimentations. Un milieu qui accueillit d'emblée le chorégraphe Francis Plisson quand il opéra son retour dans sa ville d'origine : « On me le déconseillait, il y avait le CCN, Daniel Larrieu, on m'expliquait que je n'arriverais pas à me faire ma place ».

Le sens, les sens, s'accordent plus en profondeur. Dans sa jeunesse, Plisson était autant musicien que danseur. Plus tard affecté par une perte progressive de l'ouïe, la question du son le passionna d'autant plus. A une époque où on n'imaginait pas qu'un spectacle de danse s'accompagnât autrement que sur bande magnétique, il eut pour manifeste de « ne plus jamais concevoir une chorégraphie qui ne soit accompagnée par des musiciens en direct ».

Quand les danseurs de Larrieu débarquaient de Paris en TGV, juste le temps de leurs répétitions, Plisson était « le seul danseur dans la ville ». Puis ceux de Bernardo Montet, successeur de Larrieu au CCN, eurent tendance à s'implanter. Un Vincent Dupond a élu Tours pour siège de sa compagnie. De son côté, Plisson travaillait patiemment avec les étudiants du SUAPS. Aujourd'hui il y a bien plus qu'un danseur dans la ville.

Fini le concert à la Chapelle Sainte-Anne, il faut courir pour enchaîner à la chapelle du Petit Saint-Martin. Laquelle dépend de l'Ecole des Beaux-Arts. Le festival Ecoute Voir active un chapelet de lieux pour un cheminement dans le multiple en ville. « Je ne me suis jamais soucié de conduire une analyse du public du festival. Je n'en ai d'ailleurs pas les moyens. Je constate simplement que ces divers lieux sont pleins, de publics diversifiés. Beaucoup de spectateurs viennent sans trop savoir à quoi ils vont assister. Pas mal, non ? » apprécie Francis Plisson.

Au Petit Saint-Martin, dans la poussière entre sculptures et moulages d'un atelier de restauration d'oeuvres d'art, une danseuse (Gaëlle Gueranger) et une vocaliste (Isabelle Duthoit) se rejoignent. Deux jours auparavant ces deux artistes ne se connaissaient pas. C'est le principe de cette rencontre. Tous risques compris. On est abasourdi d'apprendre que la chanteuse est de tradition classique à l'origine. Cet après-midi, elle fait vivrer ses cordes vocales à l'état brut, et c'est un vertige savant pour orchestrer des râles quasi sauvages, dans une improvisation qui sonne en écorchures ciselées.

Au soir venu, le joli théâtre du Petit Faucheux – sans lequel rien de tout ça ne pourrait se produire – fait découvrir Olivier de Sagazan sur scène. Le plasticien de la Chapelle Sainte-Anne n'est plus un jeune homme. Il fait vivre une séquence qui semble directement issue de l'histoire de la performance, en détruisant l'apparence de son corps sous des couches de matière glaise, qu'il torture jusqu'à la monstruosité. L'action est radicale, extrême, même si elle en reste à une forme d'exposition en objet clos. Il y a tant de force dans l'implication de ce corps, qu'on se prend à songer que trop souvent la danse semble se résigner à n'être qu'un petit art qui bouge.

Cette longue soirée de pérégrination se poursuit au Volapük, autre lieu indépendant, voué à l'accueil d'artistes de la scène, en recherches. Les spectateurs devront à nouveau avoir le goût de l'aventure, pour suivre le témoignage littéral de Thibaud Croisy dans sa rencontre avec un adepte de pratiques sadomasochistes entre hommes. On pourrait penser qu'en montrant ce spectacle, Francis Plisson a songé à déplier encore une autre facette, extrême, dans les problématiques du corps. C'est plus subtil. Aucun acteur ne se produit dans la pièce de Thibaud Croisy ; tout se donne par le biais d'un enregistrement de conversations entre l'artiste de le maître dominateur.

On en revient, toujours, àu rôle du son, de la parole, tels qu'ils se chargent d'une part des mouvements du corps, pou toucher celui des spectateurs. Francis Plisson se souvient de la façon qu'avait son grande-père, au moment de réfléchir, au moment d'expliquer, au moment de montrer, de l'inviter à « écouter voir ». C'était son expression. Toute simple. C'était l'amorce de tout un rapport au monde. Tissé à hauteur d'homme.

Gérard Mayen

Festival Ecoute Voir : 12 au 14 janvier 2017, Tours

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