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Folk + Danse = (R) évolution

« La danse s’est progressivement codifiée tout en évoluant en permanence au cours de sa recherche et en luttant contre ce mouvement de conservation nécessaire. Il appartient ainsi à chaque génération de chorégraphes de bâtir à partir de ce processus et de créer une évolution ou une révolution qui influencera peut-être notre avenir. »

« Nous avons conçu le premier programme « American folk dancing » pour vous plonger dans une décennie particulière dans le temps et l’espace, une période où notre société s’ouvrait et se libérait des nombreuses contraintes de son passé. Cette période riche en (r)évolution permanente se déroule de 1970 jusqu’au début des années 1980 dans un lieu emblématique : New York. Au cours de cette décennie, dans cette ville, deux femmes, Twyla Tharp et Trisha Brown créent leur propre « langage » de danse. Dès son origine cette danse fut improvisée, inventée, à partir des multiples explorations tout terrain qu’elles ont menées un peu partout dans cette ville mais aussi en s’inspirant de différents mouvements populaires. Libre et ouverte, elle fut souvent présentée par leurs auteures comme pouvant « être dansée par tout le monde ». Elle sera plus tard codifiée et construira un héritage qui nous influence encore aujourd’hui, danseurs, chorégraphes, publics, que nous le voulions ou non. » écrit Petter Jacobsson, directeur du CCN - Ballet de Lorraine.

Au programme donc, de ce premier Folk + Danse = (R) évolution on retrouve donc ces deux grandes dames de la danse américaine, avec l’entrée au répertoire du CCN Ballet de Lorraine de The Fugue et Nine Sinatra Songs de Twyla Tharp et d’Opal Loop /Cloud Installation #72503  de Trisha Brown.

Opal Loop /Cloud Installation #72503 © Arno Paul

La soirée, programmée dans le cadre du festival Exp.Edition débutait par Opal Loop / Cloud Installation#72503. Cette pièce, selon la chorégraphe, fait partie des « structures moléculaires instables ». Plus que d’instabilité, la chorégraphie joue plutôt sur l’imprévisibilité des déplacements des danseurs qui semblent explorer un nouvel espace-temps. L’idée de Trisha Brown est de commencer avec une phrase de mouvement infiinie qui se boucle pour que chacun reprenne sa place au centre de l’espace. Chacun des danseurs improvisant sa réponse, produisant des migrations de mouvements ou des canons. C’est donc une structure malléable qui prend forme sous nos yeux, tandis que des buses, mises au point par Fujiko Nakaya envoient des nuages de molécules d’eau de formes variables. Ce sont ces buses que l’on entend dans Opal Loop, elles confèrent à l’ensemble une atmosphère très particulière. Un déséquilibre s’installe, comme si l’on assistait à des mutations de l’état des corps, la danse se fait fugace, fluide, avec des sortes d’apnées aériennes. La danse s’esquisse, ressemblant parfois à des revirements d’oiseaux en plein vol, mais aussi à une chorégraphie mue par un principe d’incertitude. On ne sait jamais si le mouvement est fini, ou s’il est le moteur d’un autre, laissant finalement apparaître, dans ces fausses transitions, un invisible de la danse, qui en est pourtant toute l’essence. Le faux silence, tout comme les faux brouillards qui enveloppent la pièce, lui ajoutent ce caractère nocturne, apaisant et quasi irréel. Et on se laisse prendre à ce bizarre retour du même (on distingue bien la phrase initiale) mais dont le déplacement spatial modifie toujours l’appréciation. C’est une très grande pièce pour quatre danseurs, aussi difficile à attraper que le sont les nuages.

The Fugue © Arno Paul

The Fugue de Twyla Tharp est presque à l’opposé d’Opal Loop. Basée sur l’Offrande Musicale de Jean-Sébastien Bach, la chorégraphie met en scène trois danseurs représentant chacun un registre musical : basse, alto, soprano. Divisée en vingt temps, elle se déploie en solos, duos ou trios. Mais, bien loin de cette œuvre plutôt contemplative de Bach, on est vite embarqué par le rythme enjoué, marqué par les pas et les frappes du trio. Bien sûr, tous les procédés de la fugue sont ici exposés : renversements, inversions, répétitions, canons qui sont l’alphabet de base du contrepoint. Mais tout ceci reste léger, humoristique, et même un peu jazzy, qui est un peu la marque de fabrique de cette chorégraphe qui sait si bien passer du savant au populaire d’un seul tour de rein.

Nine Sinatra Songs © Arno Paul

À ce titre, les Nine Sinatra Songs, de la même autrice, forment un classique incontournable de cette danse au bord du bal. Sur le plateau où trône une énorme boule à facettes digne d’un night-club disco, les sept couples glissent les uns après les autres, dans des tenues aussi sublimes que kitchissimes, et dansent le cha-cha-cha, le tango, et même la valse. Il y a quelque chose d’une caricature et d’un hommage à In The Night de Jerome Robbins, Sinatra remplaçant Chopin, et le swing l’élégance classique. On y retrouve le même goût pour les portés virevoltants et pour un certain romantisme de la figure du couple. Tout cela finit en feu d’artifice avec tous les couples sur scène. Néanmoins, on aurait aimé sans doute un peu plus de second degré de la part des danseurs.

Agnès Izrine

Opéra de Nancy, 13 novembre 2015 dans le cadre du festival Exp.Edition

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