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« Folia » de Mourad Merzouki

Dans cette pièce présentée au 13e Art à Paris, le chorégraphe explore avec bonheur l'alliance du hip-hop et du baroque. Un spectacle de fin d'année haut en couleurs.

Toujours plus loin, toujours plus haut. Depuis quelques années, il semble que Mourad Merzouki ait fait sienne cette devise, se lançant sans cesse de nouveaux défis à mesure qu’il confirme sa capacité à embrasser par le hip hop, sa discipline d’origine, des mondes a priori aux antipodes. Dernier exemple en date, le baroque, qui vient de se voir mis en en danse dans Folia, présenté en ouverture des Nuits de Fourvière 2018 et à Paris en cette fin d'année 2019.

Mourad Merzouki ne se contente pas d’illustrer cet univers musical et esthétique que d’autres avant lui, au parcours plus académique, ont déjà exploré. Il a l’intelligence de placer le principe même de sa pièce sous le signe de cette folia baroque dont elle porte le titre. Le mot italien, qui claque ici comme un manifeste, se lit à plusieurs niveaux. Il désigne tout d’abord à une branche particulière du répertoire musical du XVIIe siècle qui accompagnait des danses populaires, selon un principe simplifié d’enchaînement harmonique, dans une virtuosité aussi expressive qu’assumée. Le terme s’entend également comme un appel au déchaînement et à la transe, celle par exemple de la fameuse tarentelle des Pouilles italiennes. Au-delà de ces références historiques, il apparaît enfin comme la métaphore joyeuse du principe créatif à l’œuvre avec cette création, qui marie avec allégresse formes et styles sans souci de frontières normatives.

Sur le plateau de l’impressionnant amphithéâtre romain de Fourvière se côtoient en effet des interprètes venus du hip hop, deux danseuses classiques sur pointes dont une, Mélanie Lomoff, vue jadis chez Montalvo - Hervieu, des instrumentistes de l’ensemble lyonnais Le Concert de l’Hostel Dieu en tenue d’époque, des chanteurs lyriques, un DJ twistant les partitions de Vivaldi et autres compositeurs de rythmes électroniques, le tout dans une scénographie spectaculaire digne des plus belles ‘machines’  de Lully. Transformations à vue, somptueux effets de lumières, visions oniriques, telle cette soprano dont la jupe rouge géante dissimule une sphère creuse abritant les danseurs : tout rappelle ces spectacles enchanteurs et enchantés dont le XVIIe siècle baroque était si friand.

Dans le même esprit, la chorégraphie joue habilement de la figure du cercle, motif récurrent du baroque mais aussi du hip hop. Quant à l’abondance d’images et de tableaux dont fait preuve la pièce, elle répond à ce goût de la profusion et de l’ornementation, jusque dans les moindres détails, qui caractérise la période. Et s’il fallait juste formuler un regret, ce serait de ne pas avoir poussé plus loin encore - quitte à briser l’harmonie fédératrice du spectacle - le délire des formes à l’œuvre par exemple dans certaines réalisations architecturales de cette époque.

Mais l’ère baroque, on le sait, a aussi son versant sombre, dans une filiation souterraine avec la destruction et la mort. Et pour Mourad Merzouki, la folia dont il est question est aussi cette folie des hommes qui ravage aujourd’hui la planète. Face au désastre, les globes géants sur le plateau, figurant la planète bleue et ses satellites, sont autant de piqures de rappel de nos responsabilités écologiques et politiques. Pas sûr que cela suffise à inverser la courbe des périls, mais on aura au moins, une heure durant, célébré en danse et en musique toute la beauté dont est capable l’humanité. A cet égard, le magnifique final, avec son derviche tourneur en longue jupe blanche emporté dans une boucle hypnotique sur lui-même, est un pur moment de bonheur salué comme il se doit par un public enthousiaste.

Isabelle Calabre

Vu le 1er juin 2018 à l’Amphithéâtre romain de Fourvière.

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