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« Flot » de Thomas Hauert

Pour conclure son premier gala Plus plus en beauté, le Ballet nancéien nous a offert une création de Thomas Hauert, Flot, conçue pour et avec un corps de ballet de vingt-deux corps, une troupe quasiment exhaustive, hommes et femmes à parité.

Ce n’était sans doute pas la pièce la plus facile, la plus immédiatement recevable du programme pour les raisons que nous allons examiner, mais nous l’avons trouvée à sa juste place en fin de soirée. Plus tôt, selon nous, elle aurait été sacrifiée au lieu d’être valorisée, à bon droit, comme un événement en soi.

D’où vient alors cette légère retenue de la salle qui a rappelé les artistes, chorégraphe inclus, avec moins d’enthousiasme qu’espéré ? La musique de Prokofiev, dansante en théorie, constituée, ainsi qu’annoncé, d’une suite de valses (lesquelles sont mesurées, comme il se doit, à trois temps), a un caractère atone, atonal, automnal qui n’est pas, à proprement dire, une invitation à la valse. Les six airs se fondent en un qui, comme le reconnaît Thomas Hauert lui-même, est d’abord monotone. Excepté sans doute le dernier morceau, brillamment orchestré, plus allègre et, de ce fait, gardé par le compositeur comme par le chorégraphe, pour la bonne bouche, autrement dit pour le final.

Il va sans dire que le délitement harmonique, le bourdon contrapunctique, la distension métrique qui produisent à la longue leur effet mélancolique sur l’auditeur en estompant les éclats lyriques ne contribuent pas à l’enthousiasme général.

Tout se passe comme si le tragique des années les plus sombres du XXe siècle s’était communiqué aux œuvres dont sont tirées les six valses que Prokofiev réunit dans son Opus 110 au sortir de la guerre – l’opéra Guerre et paix, le ballet Cendrillon, le film Lermontov d’Albert Gendelshtein et Konstantin Paustovsky.

Dès lors, les danseurs ont beau apparaître comme par magie du fond d’un rideau émeraude designé par Chevalier-Masson, s’escrimer, se démener, s’activer en tous sens, la plupart du temps en parfaite synchronie avec le tempo, quelquefois en reproduisant des motifs de chorus line de musicals de Busby Berkeley ou de patinage artistique à la Holiday on ice comme le mouvement d’hélice antihoraire qui marqua le danseur natif de Schnottwil dans sa prime jeunesse, rien n’y fait : le ton est à la plainte.

Il est possible également que le sans façon structurel, le décousu architectural, le haché ou le hachuré d’une chorégraphie réduite aux acquêts, aux impros, aux influx, ne parviennent, pour le moment encore, à susciter l’engouement du public des corbeilles. Quelque maladresse technique, ici ou là, a pu aussi gêner une partie des spécialistes dont nous ne partageons pas la sévérité.

Ceux-ci, comme le reste de la galerie, ont apparemment moins vibré à cette pièce chorale qu’aux deux l’ayant précédée – le perpetuum mobile du duo Petter Jacobsson-Thomas Caley, Record of ancient things, qui eût pu partager le titre de... Flot, et le trio de damnés de costauds un peu crispés se bornant à danser du bout des bras dans Transparent Monster de Saburo Teshigawara.

Les non-initiés n’auront, comme nous, pas voulu différencier la part d’impromptu du travail de la troupe avec le chorégraphe helvète de celle cristallisée – un certain temps, du moins. En ce sens, ce spectacle pourra et, certainement, gagnera à être revu.

Nicolas Villodre

Vu le 14 novembre 2018 à l’Opéra national de Lorraine, à Nancy, dans le cadre du programme Plus plus.

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