Festival Trente Trente à Bordeaux
Christophe Béranger ou l’homme à fleurs encordé, Arnaud Saury et Edouard Peurichard, deux colocataires qui lancent des couteaux et l’éloge de la lenteur imaginée par Thomas Bîrzan et Mario Barrantes Espinoza.
Depuis le 21 janvier et jusqu’au 1er février, Trente Trente propose une trentaine de formes courtes dont dix créations qui se déroulent dans treize lieux différents à Bordeaux et en Nouvelle Aquitaine.
Cette 17ème édition réserve de nombreuses surprises dont certaines sont encore à découvrir. Dans la halle des Chartrons, la compagnie Sine Qua Non Art a présenté Desires's series #1, un solo performatif fait de cordes, de fleurs et de corps bruts né de la rencontre avec le photographe et plasticien brésilien Fabio Da Motta.
« Avec Jonathan Pranlas-Descours nous avons eu la chance de rencontrer Fabio Da Motta et sommes tombés sous le charme de ses œuvres » explique Christophe Béranger. « Il a une passion pour l’esthétique et la pratique du bondage tout en détournant les codes du Shibari, (une technique d’attache des corps japonais). De son travail, empreint de poésie et de beauté, il démontre avec ses cordes de plusieurs couleurs qui entravent les corps, l’ivresse de la soumission, l’équilibre entre le chaud et le froid et l’érotisme qui peut en naitre ».
Alors que Christophe Béranger est assis dos au public Desires's series #1, débute avec une vidéo montrant juste les bras tatoués de Fabio Da Mottaentrain de « saucissonner » un homme nu avec des cordes de plusieurs couleurs. L’artiste semble avoir un objectif très précis, non seulement sur le plan esthétique, mais aussi pour mettre en valeur la perfection de ce corps.
Puis, le danseur et chorégraphe se lève et laisse toute la salle l’admirer tant il est magnifique avec ses cordages et ses fleurs naturelles posées délicatement sur sa tête. Un œil est bloqué, un bras coincé derrière son dos, ses deux jambes sont entravées, tout cela grâce à un savant tressage.
Alors que juste des néons placés au sol l’éclaire, il se déplace difficilement dans la foule. Sa déambulation est ponctuée par des phrases projetées. « Il faut lui détacher les jambes. Trouvez le scotch et tirez. » Puis plus tard « Donnez lui à boire, la bouteille est sous ses pieds ». Des spectateurs s’exécutent.
Christophe Béranger ressemble à une majestueuse divinité tout en déployant une sensualité débordante. Sur des musiques baroques et dans des décors grandioses, d’autres vidéos montrent le danseur suspendu dans le vide par ses cordes, puis en final, sur le plafond de la halle, semblant ainsi avoir quitté ses entraves pour enfin trouver le bonheur de la liberté.
Pour les deux chorégraphes, il s’agit d’une réflexion, sociale, écologique et politique :« Est-ce que l’homme n’a pas besoin de restreindre son plaisir pour retrouver la vie, le partage, la conversation, le lien social ? »
L’idée est séduisante, bien pensée et bien construite, mais avouons que les images finales s’avèrent quelque peu pompeuses.
Dans ma chambre - épisode 02 provoque le rire dès le début alors que l’acteur, Arnaud Saury et le circassien, Edouard Peurichard répètent difficilement un exercice où l‘un monte en haut d’une échelle et l’autre la retient. Dotés de micros cravates, on peut entendre aisément leurs respirations, leurs réflexions, leurs injonctions et leurs déboires.
Etant donné qu’ils n’ont aucun lieu adéquat, c’est dans une chambre que les deux acolytes préparent un spectacle aux multiples facettes mais surtout avec l’ambition de créer un club de lancers de couteaux dans la deuxième ville de France.
De scénettes en scénettes, dont certaines sont très drôles, on comprend le désarroi de ces deux hommes. C’est extrêmement bien joué, mais malheureusement, après avoir débuté très fort, cet ouvrage s’essouffle dans le temps.
Au Glob théâtre, Thomas Bîrzan et Mario Barrantes Espinoza surprennent dans Drift (i). Après avoir vu dix spectacles en deux jours et que l’on annonce que cette dernière pièce est une exploration de la lenteur, il est évident que l’on craignait le pire. Mais c’est sans connaitre les choix de Jean-Luc Terrade qui a toujours des ressources et des surprises à proposer.
Drift (i) met en scène deux personnages vêtus de sweet dont la capuche recouvre leurs têtes et assis dos au public. Lentement, très lentement, une main se décolle du sol. Elle laisse apparaitre des doigts fins et des ongles vernis de rouge. Toujours dans le même rythme, les corps commencent à se déplacer. Puis par se retourner et là, surprise de découvrir deux hommes barbus. Comme quoi, rien que par le fait d’une main qui semblait féminine, toute la salle s’est faite une idée fausse sur l’identité des interprètes.
La très difficile précision des mouvements, le défi des détails et l’étrange ambiance provoquée par ce duo d’artistes font de cet opus un petit bijou hors du commun.
En conclusion, cette édition 2020 de Trente Trente a permis de découvrir de bien belles pépites. Des œuvres émouvantes, surprenantes, poétiques, drôles, originales et même loufoques, qui ont séduit un vaste public de tous les âges. Jean-Luc Terrade a su une fois de plus marier subtilement les arts entre la danse, le cirque, la musique, le théâtre et des performances. Son festival est unique tant par son originalité, la variété des spectacles proposés et l’ambiance chaleureuse qui en découle.
Sophie Lesort
Spectacles vus les 24 et 25 janvier 2020 au festival Trente Trentede Bordeaux
Desires's series #1
Sine Qua Non Art
Chorégraphie – Performance : Christophe Béranger, Jonathan Pranlas-Descours
Collaboration Art Visuel - Costumes : Fabio Da Motta (Brésil)
Musique - Prélude àL’après-midi d’un faune- Debussy, Tedeumde Marc Antoine Charpentier - Marche de timbales…
29 au 31 janvier 2020 – Chapelle des Dames Blanches – La Rochelle
Dans ma chambre - épisode 02
Conception : Arnaud Saury
Écriture et interprétation : Arnaud Saury et Edouard Peurichard
Lumière : Zoé Dada
Son : Manuel Coursin
Régie générale : Paul Fontaine
17 et 18 mars - Onyx / Festival Ici et maintenant / St Herblain (44)
27 au 29 mars 2020 / Épisodes 1 & 2/ Festival (Des) illusions Monfort – Théâtre / Paris (75)
Création Épisode 3 / 1er semestre 2021
Drift(I)
Chorégraphie et performance : Thomas Bîrzan et Mario Barrantes Espinoza
Direction technique : Sylvain Formatché
Musique: Martijn Ravesloot aka Melawati
Création lumière: Ryoya Fudetani
Accompagné par: Bojana Cvejić
Avec l'aide de : Mette Ingvartsen, Nicolina Pristaš, Pierre Rubio, Salva Sanchis
Costumes: Heide Vanderieck
Documentation vidéo : Federico Vladimir Strate Pezdirc
Crée à : P.A.R.T.S. and Co-laBo (Les Ballets C de la B)
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