« Festival de danse de Cannes »
Brigitte Lefèvre, pour sa dernière programmation de la biennale de danse azuréenne, avant de passer la main à Didier Deschamps, a reçu de celle de David Lisnard, l’édile de la cité des festivals et le président des maires de France, le diplôme de Citoyenne d’honneur de Cannes. L’ouverture de la manifestation a, par ailleurs, été splendide, avec la venue en France de la Martha Graham Dance Company dirigée par Janet Eilber et la performance en solo, le lendemain, de la danseuse au statut de rock-star, la Montréalaise Louise Lecavalier.
Deux pièces de danse modernes, historiques, donc indémodables, signées Martha Graham inauguraient le gala du 27 novembre : Steps in the street (1936) et Ekstasis (1933). La première, une section du ballet Chronicle, garde toute son actualité, s’agissant d’une réponse de la chorégraphe à la proposition reçue des responsables de l’art nazi de participer aux réjouissances des Jeux olympiques, cette année-là, à Berlin.
Non seulement Graham refusa de cautionner ces festivités mais elle utilisa des éléments prélevés dans la réalité de cette époque, « documentant » son œuvre – les effets de la Crise de 1929, les menaces de guerre, en particulier. Les mouvements nous touchent par leur simplicité même et par leur intensité poussée à l’extrême.
Le deuxième ballet, dont il ne restait trace, a été entièrement reconstitué par Virginie Mécène ; laquelle s’est inspirée de la robe en tissu moulant du solo Lamentation qu’interpréta et enregistra sur pellicule Martha Graham en 1930. Là aussi, là encore, est obtenue une épure du mouvement. Nous avons été sans doute un peu moins réceptifs à la chorégraphie d’Andrea Miller, Scavengers (2021), trop byzantine à notre goût, trop alambiquée, qui a le mérite de prouver l’ouverture de la compagnie à la chose contemporaine. Acts of light (1981), qui date de la dernière période de Graham, contraste aussi avec le maniérisme de Miller. Cette pièce qui met en valeur la technique et le souffle de la troupe au complet a conclu le programme vivement, allègrement, comme un feu d’artifice.
Stations, de et par Louise Lecavalier, est plus près du chemin de croix que de la démonstration virevoltante, virtuose, circassienne que certains pouvaient attendre de l’inspiratrice d’Édouard Lock et de l’ex partenaire, à la ville et sur scène, de Marc Béland. La sobriété a été de mise. La scénographie est ainsi réduite à quatre colonnes, alternativement lumineuses, balisant l’espace comme les piquets d’un ring de boxe.
La prestation de la danseuse est rythmée, soutenue, découpée par la B.O. électro-acoustique d’Antoine Berthiaume, elle-même enrichie de thèmes de Colin Stetson et d’une chanson vespérale de Teho Teardo et Blixa Bargeld. Lecavalier est habillée masculinement : d’un pantalon noir à pattes d’eph et, à partir d’un certain moment, d’un blouson en matière synthétique, accessoire dont elle fera par ailleurs peu d’usage – elle ne jouera ici ni à la cagoularde, façon Musidora, ni à l’adepte d’art martial ou de hip-hop. Près d’une heure durant, la danseuse se déplace latéralement, par petits pas comptés, comme ceux d’une geisha allant de jardin à cour et de cour à jardin ; par petits pas glissés, comme ceux d’une interprète de Berezka. Si elle ne chausse toujours pas de ballerines, elle ne joue pas pour autant les va-nu-pieds, protégée qu’elle est par d’épaisses socquettes qui fluidifient les mouvements et accentuent la sensation d’effleurement du sol.
À deux reprises, Louise Lecavalier, qui en a gardé sous le coude et sous le polité, patine en équilibre sur une jambe, plusieurs minutes d’affilée sans donner de signe de fatigue. Au finale, elle se fond dans le noir, aux dernières notes de la chanson.
Nicolas Villodre
Vu les 27 et 28 novembre 2021 à Cannes.
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