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Faits d’Hiver : Décaler le regard #4. L’Habit fait le moine.

Parfois observer le costume suffit à déplier les enjeux d’une chorégraphie. C’est le cas de cet El Adaptador.

L’habit fait-il le moine ? Ou le Toréador ? Ou mieux, l’Adaptador ? Telle est la question que pose Marco Berrettini qui endosse l’Habit de lumière. À commencer par ces lunettes extravagantes roses et vertes qui clignotent et brillent pour attirer l’attention. A cet instant, nul ne saurait dire qui les porte, et curieusement, leurs seuls mouvements suffisent à exprimer des sentiments, comme si, finalement, la direction comptait plus que le regard lui-même. Et personne n’imagine alors que ces deux formes informes plongées dans le noir, portent les capes rouge et or qui symbolisent à la fois la corrida et l’Espagne. Quand nos deux protagonistes apparaissent enfin, ils tiennent chacun une valise (une jaune, une rouge) et font le tour du plateau sur une musique Olé Olé.

Ils ont beau être habillés pareil, Milena Keller et Marco Berrettini, l’une porte beau, l’autre a l’air d’un vieil oiseau enfoncé dans son col, avant que ne se révèle le costume violet brodé d’or du torero prêt à passer à l’action. Toute une Espagne de pacotille est à l’œuvre dans El Adaptador,tous les signes y sont, et le costume en est l’emblème absolu. 

Mais à bien y regarder, ce costume dit autre chose. Avec son pantalon brillant coupé taille plus que haute, son petit boléro à épaulette, et son « montera » la coiffe traditionnelle des toreros « à pied », il dégage le malaise. Déjà de celui qui le porte : comment être à l’aise attifé de cette façon ? Et puis, il a beau être unisexe (les toreras portent bien le même costume) on perçoit qu’il a été façonné pour mettre en valeur la virilité – dans tous ses états les plus sexistes qui consistent à attribuer à l’homme le courage, la valeur, et la masculinité, sans parler du nom du chapeau (d’accord, c’est un peu facile). Or c’est là que le bât (et non le bas, même s’ils sont d’un orangé délicat) blesse. Car sur le plateau, cette tenue saugrenue va beaucoup mieux à Milena Keller, qu’à Marco Berrettini duquel il souligne le ventre un peu replet et les mollets un peu trop faits. 

Galerie photo © Dorothée Thibert Filliger

Et finalement, si toutes ces fanfreluches et ces broderies dorées appartenaient plutôt au registre féminin ? Et si ces insignes virils, n’étaient finalement que des ersatz, que dis-je, des succédanés de la parure, et peut-être même de l’essence, de la femme fatale ? Fatale, parce qu’elle renvoie l’homme aux oubliettes. Ou tout du moins métamorphose doublement le genre, en faisant passer la gloire et ses attributs à la femme*. Et telle est bien la fin de cette histoire. Milena saisissant la muleta pour mettre à mort l’homme inadapté qu’est Marco,devenu soudain boomer frustré, homme blanc cis genre dans une société qu’il ne comprend plus, mais observe avec humour et autodérision et exorcise dans ce spectacle mêlé de danse, chants, sketches et poésie sonore. Quelle corrida !

Agnès Izrine 

Vu le 2 février à Micadanses dans le cadre de Faits d'Hiver

* Mais comment ne pas penser non plus à la danse elle-même, qui est passée de la valorisation d’un Roi Soleil glorieux en costume chamarré, monarque absolu, au culte de l’Etoile, prima ballerina « assoluta ».

 
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