« Et le corps, pour vous, c'est quoi ? »
En complément de notre article « Le danseur est un sportif comme les autres ! », nous avons posé cette question façon Jacques Chancel à quelques danseurs. Histoire de donner la parole, cette fois, aux principaux intéressés et de comprendre comment chacun vit au quotidien sa double condition d’athlète et d’artiste.
Les uns ne jurent que par le Pilates, ou le fitness. D’autres, par manque de temps ou d’envie, répondent tel Churchill : « No Sport ! ». Quelques-uns fréquentent assidûment la salle de gym, ou suivent à la lettre le programme concocté par leur kiné. De rares privilégiés s’en sortent - pour le moment… - sans autre préparation physique que celle des classes de danse, tout en reconnaissant qu’ « il y aurait beaucoup à faire ! ». Les plus honnêtes avouent avoir encore tout, ou presque, à apprendre sur le fonctionnement de leur propre corps…
Interrogez des danseurs sur la façon dont ils soignent et entretiennent leur premier outil de travail, et vous récolterez autant de solutions que d’individus. Mais si chacun a ses stratégies pour faire face au quotidien et tenir sur le long terme, tous partagent le sobre constat dressé d’emblée par George Oliveira, danseur aux Ballets de Monte-Carlo : « Bien sûr, on a toujours mal quelque part. Si on n’a pas mal, c’est que ça ne va pas du tout ! De toutes façons, nous sommes préparés mentalement depuis l’adolescence à la nécessité de gérer les douleurs et les blessures. »
Corps rebelles
Une fois ce postulat énoncé, force est de constater que certains sont plus pénalisés que d’autres. Ne serait-ce que par leur constitution de départ. Emilie Lalande, du Ballet Preljocaj, assure ainsi n’avoir « pas un corps fait pour le classique » et être « beaucoup plus à l’aise avec l’entraînement de la danse contemporaine qui ne se fait pas contre le corps ». De son côté, Maude Sabourin des Ballets de Monte-Carlo explique : « J’ai un physique particulier qui n’est pas des plus faciles pour la danse. L’en-dehors, la cambrure des pieds ou la capacité à lever la jambe au plus haut ne sont pas chez moi totalement naturels, j’ai dû les travailler encore plus ».
Handicap supplémentaire, les blessures à répétition fragilisent même les corps les mieux entraînés. « Je danse depuis l’âge de cinq ans », raconte Mickaël Conte, du Malandain Ballet Biarritz. « Depuis que je suis devenu professionnel, je me suis blessé au moins une fois tous les ans. Des déchirures aux ischio-jambiers, des entorses, des fractures de fatigue au pied, des tendinites, des élongations. Jusqu’à ces problèmes de calcifications et d’inflammation à l’arrière de l’articulation de la cheville, qui depuis trois ans m’empoisonnent la vie. » Quant à Sergi Amoros, du Ballet Preljocaj, qui avait pourtant « toujours très bien soigné (s)on corps », il a subi deux opérations des deux ménisques. Au total, un an d’arrêt, avant sa reprise en octobre 2015.
De l’après à l’avant
Durant sa longue convalescence, le danseur catalan a été suivi par deux kinés successifs. « Deux approches très différentes », résume-t-il. « Le premier a régulièrement en charge des danseurs de l’opéra de Paris ; le second, installé à Aix en Provence, travaille avec l’équipe de rugby de la ville. Il était plus ‘brut de décoffrage’, plus coach que soignant, mais il m’a beaucoup aidé à récupérer ma musculature, qui avait entièrement fondu. Je continue à le voir deux ou trois fois par mois et je me rends à la salle de sport pour un programme spécifique de renforcement musculaire, plus du Pilates sur machine une fois par semaine et des séances d’ostéo. » Cette expérience lui a fait prendre conscience de la nécessité urgente d’une politique de suivi et de prévention. « On est comme des sportifs de haut niveau, soumis à un rythme intense. Mais on a tous des corps différents, qu’il faut savoir écouter et prendre en compte. »
La prévention, c’est aussi ce qui intéresse Manon Bastardie, vingt ans, du Ballet national de Marseille. Grâce au Parcours Santé mené avec le soutien de Harlequin Floors*, les danseurs peuvent désormais consulter deux ostéopathes, qui les massent en double soin pour replacer et détendre les muscles après l’effort. Manon s’entraîne également chaque jour dans un studio dédié au Pilates. « Les machines sont intégrées dans notre préparation », précise-t-elle. « Je les utilise pour renforcer les adducteurs, le dos, les bras et les chevilles. On peut même s’y exercer sur pointes, ce qui fait travailler les pieds en résistance. »
Les bienfaits du sport
George Oliveira, lui, a choisi la cardio. « Pour rendre mon corps plus fort », affirme-t-il. « C’est essentiel pour pouvoir tenir un rôle durant deux heures trente, parfois. Après la répétition, je pars donc courir à la salle de sport. C’est une façon d’utiliser mon corps complètement différente. Je ne tiens pas une position, au contraire je me relâche et me détends, tout en me dépensant. » Façon aussi d’être toujours au meilleur de sa condition, pour parer à toute éventualité puisque Jean-Christophe Maillot, tel un entraîneur de foot, fait ses distributions l’avant-veille des spectacles. « Il nous tient ainsi physiquement et artistiquement en alerte », s’amuse le Brésilien. « Mais cela signifie aussi qu’il faut toujours être prêt, donc au top de la forme. »
Autre exemple d’entraînement, celui que Maude Sabourin pratique depuis déjà quatre ans : « J’ai toujours eu envie d’essayer autre chose », se souvient elle. « Stefan Steward, qui a été danseur au Ballet de Stuttgart et aux Ballets de Monte-Carlo avant de devenir entraîneur privé, m’a initiée à la musculation. Je choisis mes exercices en fonction de mes besoins et de mes rôles à venir. Le but ? Que mes muscles récupèrent plus vite, que je saute plus haut, que j’aie moins de blessures. Et ça marche ! »
Pour se préparer par exemple à interpréter Vers un pays sage de Jean-Christophe Maillot, un ballet « très difficile physiquement et techniquement », elle a fait des squats avec une barre de poids de 80 kg ! « Pour que les muscles soient performants », commente-t-elle, « il faut les mettre sous tension. Si je réussis à leur faire comprendre comment récupérer avec toute cette charge, alors, quand je suis sur scène sans aucun poids, ils répondent trois fois plus vite ! »
Connais-toi toi-même !
La conclusion - toute provisoire ! - revient à Yoshiko Kinoshita et Andrès Martinez, tous deux danseurs au Ballet national de Marseille. L’un et l’autre confessent sans fard avoir « découvert (leur) propre corps » grâce au nouveau Parcours Santé. « J’utilisais mal mon corps » avoue Yoshiko, « maintenant j’ai appris l’anatomie et je commence à l’écouter davantage. Résultat, je me sens plus légère et moins fatiguée ». Andrès, de son côté, constate : « En comprenant où sont mes limites et mes atouts, je peux mieux prévenir les blessures et récupérer plus vite. Par exemple, grâce aux études musculaires faites dans le cadre de ce parcours, je sais maintenant que j’ai besoin d’être toujours en mouvement, et que la structure de mon corps réagit mieux aux positions en déséquilibre. C’est tout un chemin pour se connaître mieux, et il commence à peine ! »
« Avant », résume Yoshiko, c’était plutôt : ‘C’est comme ça’ sans se poser de questions. Maintenant, je comprends comment mon corps fonctionne et ça change tout. Quand il le faut, je me repose ! »
* Ce partenariat s’inscrit dans le cadre d’une politique active de sensibilisation à la prévention des lésions chez les danseurs par Harlequin, qui a fait l’objet d’un Fascicule Santé, à commander gratuitement par simple mail à info@harlequinfloors.com
Isabelle Calabre
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