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Entretien Christian et François Ben Aïm

Les frères Ben Aïm créent le 7 novembre au Théâtre Scène Nationale de Mâcon, leur dernière pièce, La Légèreté des tempêtes. Nous en avons profité pour les interroger sur leur parcours, leurs désirs, leur création.

DanserCanalHistorique : Christian et François Ben Aïm, vous êtes frères, comment en êtes-vous venu à chorégraphier ensemble ?

Christian  Ben Aïm : C’est venu d’une réflexion commune. Nous étions tous les deux au Québec, en fin de formation, et nous allions voir des spectacles qui nous ennuyaient.

François Ben Aïm : Nous avions l’impression de ne pas trouver ce que l’on nous avait enseigné, ou ce qui avait été mis en valeur dans cette formation. Ça nous a poussé à vouloir mettre cet enseignement à l’épreuve.

DCH : Vous avez été formés au Canada ?

Christian : À Québec, nous étions interprètes. J’ai travaillé avec Carbone 14 et François avec Angelika Oei, une chorégraphe néerlandaise. Mais nous avons été formés en banlieue parisienne, par des gens qui venaient de chez Étienne Decroux, à l’école du Carré Sylvia Monfort et un peu au Théâtre du Mouvement.

DCH : Pourrions-nous revenir sur votre parcours ?

Christian : Nous travaillons depuis dix-sept ans ensemble et nous avons une vingtaine de créations de formats très différents à notre actif. À la suite de LOgresse des archives et son chien, qui portait sur la thématique des contes, et après Valse en trois temps, un travail plus formel, nous arrivons dans notre parcours à une nouvelle étape qui consiste à aimer mélanger une tendance onirique, ou une certaine narration, à une recherche plus chorégraphique, plus physique, du mouvement, de l’écriture. Nous visons à rassembler ces deux modes de travail, pour que nos pièces puissent signifier et raconter d’un seul et même mouvement. Par ailleurs, nous avons invité des musiciens à occuper la scène avec nous dans nos dernières créations. Du coup, nos projets se sont concentrés sur le rapport du corps à la musicalité, sur l’écriture du mouvement en relation avec la musique. Contrairement à nos premiers spectacles où nous étions plus proches d’une narrativité, en adaptant, par exemple, des textes de Bernard-Marie Koltès ou Peter Handke, nous privilégions d’avantage ce rapport tout en conservant l’émotion, l’incarnation, tout en sachant que l’interprète doit se mettre au service de cette musicalité. Il ne s’agit pas pour autant de créer des formes abstraites qui supposeraient d’oublier la personne ou la personnalité des interprètes, mais de l’appréhender par un autre biais, de les amener à être traversés par de nouveaux apports.

François : Pour mettre en perspective ce que dit Christian, c’est vrai que nous venons initialement du théâtre de mouvement. Nous avons ouvert cette discipline initiale aux arts du cirque, au théâtre, et la danse contemporaine est venue rassembler toutes ces approches pour devenir notre sillon principal, mais en assumant nos origines artistiques et en nous plaisant à mêler tous ces apports. Nous nous sommes formés « sur le tas » en créant assez tôt nos premières pièces. C’est sans doute pourquoi nous aimons remettre en jeu les procédés scéniques. Nous avons fait appel à la vidéo, nous avons récemment mené un projet avec des marionnettistes contemporains… Donc nous nous situons au croisement de plusieurs disciplines, mais cette pluridisciplinarité a convergé dans le corps de nos interprètes. C’est-à-dire que nous sommes de plus en plus exigeants sur l’écriture chorégraphique sans perdre pour autant de vue une dimension intime ou personnelle que nous cherchons à révéler sur scène. Donc, l’interprète doit être capable d’être traversé d’émotions ou de sensations sans en être la dupe. Il doit à la fois être sincère dans ce qu’il ressent tout en restant distancié par rapport à ce qu’il est en train de produire. Pouvoir être dans l’émotionnel tout en restant concentré sur l’aspect physique, ou des contraintes presque abstraites. Nous aimons bien jongler avec tous ces éléments.

DCH : Justement, comment organisez-vous vos chorégraphies avec tous ces éléments ? Et comment arrivez-vous à créer en binôme ?

Christian : Je crois que ce qui est au cœur de notre travail c’est l’émotion, ou l’écriture de l’émotion. Du coup, comme l’a indiqué François, il nous faut travailler sur la distance et sur l’incarnation. Notre problématique pourrait se résumer à quelle écriture physique peut libérer cette émotion ? Ce qui nous raccorde François et moi, c’est que nous pouvons avoir deux visions, des envies ou des chemins différents, mais finalement nous nous retrouvons à cet endroit-là. Nous nous sommes aperçus, au fil du temps, que nos interprètes avaient des caractéristiques similaires.

François : Il ne s’agit pas d’être débordé par soi-même ou de se laisser aller à l’émotion, à une dramatisation. Pour prendre un exemple, nous travaillons surtout sur des processus de double contrainte, ou dans deux directions contradictoires. Et du coup, cela provoque une nécessité de mise à distance tout en étant à 100% dans ce que nous sommes en train de faire, et ça nous permet de dégager des chemins physiques pour réaliser ces itinéraires psychiques ou mentaux. Ce sont ces zones de fragilité ou d’hésitation qui permettent de convoquer des sensations ou des sentiments intimes sans être happé par une sorte de pathos ou de mélodrame. Ce sont des états de corps qui nous traversent. Qui font que l’on est agi, mais, encore une fois, pas emporté. Ce sont des états de présence qui se conjuguent à l’action, à l’événement.

Christian : Nous travaillons sur cette dimension en lien avec la musique, la tonalité, les harmoniques, la mélodie, les comptes… Comment tout cela entraîne le corps et produit une physicalité d’où sourd le mouvement. Du coup, la musique devient émotion transposée dans le corps, et fait surgir une forme, un tracé, une courbe. Mais nous pouvons opérer de la même façon à partir d’un texte ou d’une photographie.

DCH : Comment travaillez-vous avec les danseurs ? Vous répartissez-vous les tâches ?

François : Nous travaillons beaucoup avec les danseurs sans se répartir particulièrement les rôles. Nous utilisons des thématiques, nous expérimentons. Ils nous font des propositions en retour. Parfois nous leur apportons des matériaux plus personnels, des séquences, des phrases, des contraintes, mais nous sommes toujours dans une forme de va-et-vient qui permet de laisser surgir la part intime de chacun.

Christian : Nous avons fait beaucoup d’auditions pour La Légèreté des tempêtes, et c’est là que nous réalisons que la difficulté c’est de trouver des danseurs prêts à puiser dans leur fonds, à parler d’eux, avec leurs « tripes ».

François : Je nuancerais. Ça tient beaucoup également à leur physicalité. Au fil des années, s’est définie une sorte de silhouette, des caractéristiques physiques qui nous sont essentielles. Notamment, le rapport au sol, au centre, à l’organicité du mouvement. Il y a cette combinaison d’une implication maximale et d’un engagement couplé à un certain détachement qui permet à l’interprète de se métamorphoser pour servir le propos.

DCH : L’arbre et la forêt sont des éléments récurrents qui jalonnent bon nombre de vos pièces pourquoi ?

Christian : Nous sommes des terriens, ancrés dans le sol, même si nous cherchons à nous élever avec légèreté dans les airs. Cette contradiction dans l’élévation est un paradoxe que nous aimons et l’image de la forêt, à la fois obscure et dense, ou calme et lumineuse comme une clairière, nous correspond assez bien.

François : Si j’imagine un milieu naturel, ce ne sera ni l’eau, ni l’air. Donc la forêt est un bon endroit qui coïncide avec ma sensibilité.

Christian : C’est aussi en relation avec l’imaginaire du conte. Nous devons être encore de grands enfants. Nous avons besoin de raconter et de nous raconter des histoires.

DCH : Parlez-nous de votre création, La Légèreté des tempêtes…

François : Par le biais du titre, il y a évidemment cette idée de contraste, d’ambivalence. Nous sommes à la recherche d’états physiques, de présences qui nous donnent une sensation de trouble, d’être sur le fil du rasoir. Nous avons souhaité explorer la notion de désir au sens large, c'est-à-dire, l’élan vital, les forces qui nous animent, qui nous poussent à agir, mais qui sont également empêchées ou contraintes.

Christian : La thématique du désir nous permet de questionner toutes nos folies, nos envies. Nous voulions traiter cette création comme une sorte de film choral, qui suivrait le parcours de quatre danseurs, de quatre personnes qui vivent des événements similaires mais les traduisent très différemment. Comme si chacun cherchait ses tempêtes intimes. Nous avons cherché rendre compte physiquement de ces élans et de ces rétentions, de ces abandons.

DCH : La musique est très spécifique à cette création, semble-t-il ?
 
François : La spécificité essentielle de cette pièce est que nous avons passé commande à un compositeur, Jean-Baptiste Sabiani, pour qu’il crée la musique avant même que nous ne commencions la création.
 
Christian : Dans L’Ogresse des archives et son chien nous avions travaillé avec un violoncelliste et un chanteur percussionniste. Et nous avions envie de poursuivre avec ces deux musiciens. Nous aimons beaucoup l’alliance voix, violoncelle. Du coup, la composition est écrite pour trois violoncelles et un chanteur qui sont présents sur scène.
 
François : Il y a une tension continue dans la partition musicale comme dans la chorégraphie. Car pour nous, c’est à l’image du désir qui ne peut être satisfait sous peine de disparaître.
 
Christian : La Légèreté des tempêtes questionne notre difficulté à être dans l’arrêt, dans la suspension, le don. Comment on peut être tiraillé par des forces invisibles, intérieures. Dans La Légèreté des tempêtes, il y a une dimension très physique. C’est peut-être une des premières fois que nous éprouvons une forme d’abandon dans le mouvement, comme si, après la tempête, les corps cédaient, se laissaient aller au repos.
 
Propos recueillis par Agnès Izrine
 
Création La Légèreté des tempêtes, création le 7 novembre au Théâtre Scène nationale de Mâcon
http://www.theatre-macon.com/2014-2015/la-legerete-des-tempetes
Chorégraphie et scénographie : Christian et François Ben Aïm / Interprétation : Aurélie Berland, Florence Casanave, Mélodie Gonzalès, Christian Ben Aïm / Musiciens : Bruno Ferrier, Lili Gautier, Frédéric Kret, Mathilde Sternat / Composition musicales : Jean-Baptiste Sabiani / Création lumières : Laurent Patissier / Création costumes : Dulcie Best
 
Production : CFB 451 / Coproductions : Le Théâtre, Scène nationale de Mâcon -Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec - Théâtre de Rungis - Accueil studio : CCN de La Rochelle, Kader Attou - Ville de Segré / Soutiens : SPEDIDAM I Fonds SACD Musique de Scène / Résidences de création : Chorège, Relais Culturel Régional du Pays de Falaise - La Briqueterie, CDC du Val de Marne, Vitry-sur-Seine - Les Brigittines, Centre d’Art Contemporain du Mouvement de la ville de Bruxelles / La compagnie est soutenue par la DRAC Île-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication au titre de l’aide à la compagnie chorégraphique conventionnée, par la Région Île-de-France au titre de la Permanence Artistique et Culturelle, et de l’Emploi tremplin et par le Conseil Général du Val-de-Marne au titre de l’aide au fonctionnement. La compagnie est en résidence au théâtre de Rungis.

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