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Entretien avec Petter Jacobsson

Au Ballet de Lorraine, l’esprit Yves Klein inspire un saut dans le vide. Interview.

Petter Jacobsson et Thomas Caley signent Air-Condition, une pièce inspirée d’Yves Klein pour le Ballet de Lorraine, à voir à l’Opéra de Nancy du 10 au 14 novembre. En fait, il s’agit ici de bien plus que de se laisser inspirer. C’est même un ballet fictif, en clin d’œil à celui qu’Yves Klein n’a finalement jamais pu créer ou faire créer. Il paraît logique que Petter Jacobsson et Thomas Caley se soient intéressés à un tel projet, car depuis que les deux dirigent à Nancy le CCN Ballet de Lorraine, ils ont régulièrement mené un travail sur l’histoire de la danse, notamment autour des Ballets suédois. 

Danser Canal Historique : Quand on imagine une pièce de danse inspirée par l’œuvre d’Yves Klein, on pense spontanément aux performances où le corps devient l’instrument de transmission d’une peinture en bleu IKB. Vous avez l’air de prendre des chemins très différents. A quoi ressemblera Air-Condition ? 

Petter Jacobsson : C’est Emma Lavigne – elle dirigeait à l’époque le Centre Pompidou-Metz, a ensuite pris la direction du Palais de Tokyo et va désormais diriger la Collection Pinault – qui nous en a fait la proposition. Elle avait découvert des notes rédigées par Yves Klein qui dans les années 1950, où Klein esquisse ce qui a l’air d’être un début de ballet, mais pourrait aussi être un film. Il l’appelle La Guerre (entre la ligne et la couleur). Très vite le texte devient une sorte de manifeste au sujet de son art et de l’éphémère. Evidemment, travailler là-dessus nous intéressait. Nous étions interpellés par le fait que cette idée de ballet ou de film n’a jamais vu le jour. Je pense qu’Yves Klein voulait vraiment réaliser ce projet. Peut-être n’a-t-il tout simplement pas trouvé le bon chorégraphe ? On sait qu’il avait des idées de travailler avec l’Opéra de Paris et que la danse comme pratique éphémère correspond à ses idées sur l’art en général. 

DCH : Réaliser aujourd’hui un projet que Klein avait seulement esquissé vous confie une forte responsabilité, non dans le sens de se mettre à la place de l’artiste, ce qui est impossible, mais parce que ce geste est fortement symbolique. Comment l’avez-vous abordé ? 

Petter Jacobsson : Nous avons fait beaucoup de recherches pour trouver des entrées en matière. Nous avons retenu la pratique du judo de Klein et le lien de cet art martial avec la méditation. Nous nous sommes aussi inspirés de la photo de Klein où il se jette dans le vide. Ses idées sur l’architecture, l’air, le vide et l’espace ont également nourri nos réflexions. Pour tenir compte de l’intérêt de Klein pour l’espace, l’air et le vide, nous avons proposé au plasticien Tomás Saraceno de travailler sur la scénographie et il nous a finalement proposé un film scénographique. La musique est une œuvre d’Eliane Radigue, L’île re-sonante, qui avait épousé en 1953 le plasticien Arman, complice artistique de Klein et un de ses meilleurs amis. 

DCH : Si selon Klein, il y a « guerre » entre les lignes et la couleur, cette dernière essuie ici une nette défaite. La ligne l’emporte, la couleur est anéantie ! 

Petter Jacobsson Il est vrai qu’il n’y a pas de couleurs. Nous avons parlé avec Saraceno de la possibilité de réaliser une installation, mais c’était trop compliqué et il a opté pour un film en noir et blanc qui est aussi une source de lumière importante dans le spectacle. En prolongement du film, Saraceno signe aussi les lumières. Par contre, si un film était plus simple à réaliser, il n’est pas du tout simple pour nous de danser dans cette configuration ! 

DCH : Dans la vidéo et la scénographie, les lignes sont nombreuses, entre ombres et lumières, et ce jusque dans les costumes. 

Petter Jacobsson : Nous travaillons beaucoup avec des cordes qui sont tendues dans l’espace et les danseurs interagissent avec ces cordes, mais ne montent pas dessus. Cela crée des images qui rappellent une autre facette du travail de Saraceno, à savoir les toiles d’araignées. Les costumes créés par Birgit Neppl sont inspirés du judo puisque Klein pratiquait cet art martial. Nous avons donc créé une aire de jeu en tatamis de judo, sur un carré de 12m x 12m. Je judo renvoie à la fois à la spiritualité – c’est en tout cas comme ça que Klein le voyait – et très discrètement à la guerre puisqu’il s’agit d’un art martial très physique autour d’une confrontation. 

DCH : Saraceno est un grand collectionneur d’araignées et on a pu en voir dans sa grande exposition On Air, au Palais de Tokyo, en 2018. Il ne vous a pas amené quelques-unes de ses incroyables araignées qu’il conserve dans ses locaux à Berlin ? 

Petter Jacobsson : Non, nous avons juste rigolé en disant que nous devrions trouver pour lui des araignées de chez nous, dans le théâtre, pour sa collection (rires). Par contre, nous avons en effet beaucoup apprécié cette exposition et tout son travail. 

DCH : Le titre de son exposition était On Air, en partie en référence à l’atmosphère, au changement climatique et aux ravages de l’anthropocène. Air-Condition semble rebondir sur ces notions, comme vous rebondissez sur La Guerre de Klein. 

Petter Jacobsson : La danse est aussi une architecture de l’air. Et nous avons choisi d’appeler notre pièce Air-Condition, pour renvoyer à l’état de l’air sur Terre, d’autant plus que Saraceno n’aimait pas la référence à la guerre. Mais pour le danseur, l’air est aussi le vide et Yves Klein appelait le vide « le plus grand atelier du monde ». Nous avons donc travaillé sur la sensation de l’espace. Grâce aux cordes, les danseurs peuvent se lancer hors de scène, mais il n’y a pas un ballet aérien tel qu’on l’imaginerait au cirque. Ce qui nous inspire est vraiment la photo où Klein se jette dans le vide, ce jeu avec la gravité. On essaie de se lancer ou de disparaître, mais on est forcément retenu et coincé par la condition de l’homme sur Terre. Nous sommes entre le mystique et la démystification, avec le questionnement de ce que ça veut dire, être humain. 

Propos recueillis par Thomas Hahn

Les 10, 11, 12 novembre à 20h
Le 14 novembre à 15h 
A l'Opéra national de Lorraine  - Nancy

https://ballet-de-lorraine.eu/fr

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