Entretien avec Noé Soulier
C’est à un ballet tout particulier que nous convie Noé Soulier en créant Removing, une pièce à caractère répétitif comme peut l’être une composition musicale de Steve Reich. À la fois dépouillée et riche en apports de gestes du quotidien, du jiu jitsu brésilien et du ballet, Removing remplace la prise de parole dans les spectacles précédents de Soulier par une quasi-démonstration. Cette pièce est faite de ralentis et de gros plans sur des élans sans cesse interrompus, dans un silence assourdissant. Comme si un groupe de sportifs et de danseurs étaient en train d’appliquer à leurs disciplines les Actes sans paroles de Beckett…
Danser Canal Historique : « to remove » signifie « enlever » quelque chose.
Noé Soulier : En effet, l’une des idées principales de Removing est de retirer à une action ce qui permet d’en identifier le but. Mais le mot signifie aussi « bouger de nouveau ». J’ai choisi ce titre avec un peu d'autodérision par rapport au fait que je viens de créer plusieurs pièces dans lesquelles je parle beaucoup. En même temps c’est un clin d’œil à une période où la danse a un peu retiré le mouvement. Sur scène il n’y aura que du mouvement, ou presque. Ni décor, ni paroles, ni costumes compliqués, pour créer une pièce qui fait sens aujourd’hui. Voilà le défi que je me suis lancé.
DCH : La réflexion sur le mouvement dansé est au cœur de vos recherches, à commencer par le ballet.
N.S. : La définition d'un mouvement peut être géométrique, mécanique ou pratique. À l'intérieur de la géométrie, les différences sont énormes. Le ballet classique travaille à partir d'une géométrie octogonale avec des angles de 90° et de 45°. Chez Cunningham on a beaucoup à faire à des angles entre les deux. Mais dernièrement j'ai commencé à m'intéresser beaucoup à des gestes définis par des buts pratiques comme frapper, éviter, lancer ou encore s’élancer pour sauter ou aller au sol.
DCH : Depuis Yvonne Rainer, le geste quotidien fait partie de la danse contemporaine. Qu'en est-il dans Removing ?
N. S. : Tous les mouvements de Removing sont définis de cette façon au lieu de l’être par une contrainte mécanique ou géométrique. Le problème est ici que si je fais un geste jusqu'au bout et que je saisis vraiment le verre, par exemple, le spectateur ne va pas vraiment regarder la motricité elle-même, la manière dont j’attrape le verre. Il va faire une lecture narrative, justement parce que ce mouvement est connu de tout le monde, contrairement à une arabesque, par exemple. Il nous fallait donc trouver des stratagèmes pour que le but ne soit pas reconnaissable, alors qu’il est présent dans l’intention du performer.
DCH : Vous trompez le spectateur autant que vous obligez l’interprète à se tromper lui-même ?
N.S. : Certes, c’est un paradoxe mais il permet de rendre visible la qualité motrice du mouvement et de créer une résonance kinesthésique chez le spectateur, une vraie sensation de mouvement, au lieu d’en rester à une impression visuelle. Cela crée de l’émotion et de l’affect, sans passer par une ligne narrative. Il y a une séquence dans Removing pour laquelle nous sommes partis du jiu jitsu brésilien, un art martial qui ne connaît ni coups ni projections. Le but est d’amener l’adversaire à abandonner sans lui faire mal en mettant une de ses articulations à la limite de son amplitude de mouvement. Ça donne des corps-à-corps très intimes, comme collés qui m’ont évoqué un acte sensuel ou sexuel, animal ou végétal.
DCH : Comment avez-vous abordé le jiu jitsu brésilien pour l’intégrer dans une pièce de danse ?
Nous avons d’abord appris quelques bases de la technique avec un maître de jiu jitsu brésilien et ensuite des phrases et des gestes comme des bras de levier. Les adversaires ont des stratégies précises, mais au début, sans connaître les règles, je ne comprenais pas leurs gestes et je me sentais un peu comme Mallarmé quand il note que « la danseuse est un signe ». Mallarmé proposa de comprendre le mouvement comme une suite de suggestions de significations qu’on peut compléter mentalement pour ouvrir des perspectives. Aussi le pied de la danseuse dans une arabesque renvoie subitement à l’animalité.
DCH : Quand vous dissociez mouvement et narration, vous travaillez donc sciemment dans le sens de « la danseuse est un signe » ?
N.S. : Je reviens sur l'illusion, sur le mouvement qui peut suggérer quelque chose, agir comme un indice ou un signe. On s’arrête à un moment où le sens du geste n’est pas encore complètement constitué et on traverse les suggestions qui sont contenus dans le geste. Dans Signe blanc, un solo pour Yoann Rifosta du Ballet de Lorraine, je travaille sur l’exécution de deux gestes en même temps, deux gestes qui sont différents voire contradictoires. Aussi je travaille à la lisière de la compréhension du geste comme un signe et de la phrase chorégraphique dans sa propre logique.
Propos recueillis par Thomas Hahn
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Removing
Concept et chorégraphie : Noé Soulier
Danse : Jose Paulo Dos Santos, Yumiko Funaya, Anna Massoni, Norbert Pape, Nans Pierson , Noé Soulier
Paris, Théâtre de la Bastille, du 12 au 16 octobre 2015
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