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Entretien avec Jan Fabre

À l'occasion de sa venue au T2G Théâtre de Gennevilliers pour la reprise du Pouvoir des folies théâtrales, nous avons rencontré Jan Fabre.

Danser Canal Historique : Pourquoi avoir repris récemment vos deux premières pièces, C’est du théâtre comme c’était à espérer et à prévoir et Le Pouvoir des folies théâtrales que nous venons de voir récemment au T2G, théâtre de Gennevilliers ?

Jan Fabre : La raison pour laquelle j’ai repris ces pièces était avant tout de former de jeunes acteurs à mon travail car j’avais déjà en vue ma future création Mount Olympus/24h qui va donc durer 24 heures pour laquelle je désirais travailler avec des jeunes. Ces pièces ont déjà la « simplexity » (néologisme fabrien : simplicity + complexity NDLR) et le caractère direct (directness) qui font partie des composantes que je souhaite travailler dans cette future création, et abordent aussi les thèmes de Sysiphe et de Prométhée qui sont également déjà présents dans ces deux pièces qui datent d’il y a trente ans.

Je voulais vraiment retourner à la pureté de ces premiers moments. Quand je les ai remontées il y a deux ans, je me suis dit c’est incroyable de penser que je n’avais que 21 et 23 ans lorsque je les ai créées. Trente ans après, beaucoup de jeunes viennent et ça leur paraît toujours aussi radical…

DCH : Quelles est, selon vous, la différence entre ces deux œuvres phares ?

Jan Fabre : Dans la pièce de huit heures (C’est du théâtre comme c’était à espérer et à prévoir), la construction vient presque essentiellement des arts visuels, c’est-à-dire, l’installation, la performance, alors que dans Le Pouvoir des folies théâtrales, il s’agit plutôt d’un dialogue avec l’histoire du théâtre, des arts plastiques, de la peinture et je suis réellement tombé amoureux de l’illusion théâtrale, c’est donc une célébration de cette illusion. Donc il y a une grande différence entre les deux pièces.

DCH : Il semblerait que Le Pouvoir des folies théâtrale est plus gestuelle, plus chorégraphique dans un sens…

Jan Fabre : Oui, Le Pouvoir des folies théâtrales est beaucoup plus physique car elle joue beaucoup plus sur le « temps réel » et l’action réelle. Sa matrice est également lié au mythe de Sysiphe, porter des choses, les faire rouler, en temps réel, avec une fatigue tout aussi réelle, comme dans la tragédie grecque où les acteurs devenaient des héros.

DCH : Vous mêlez dans cette pièce une réflexion sur l’illusion théâtrale et l’histoire de l’art occidental. Pourquoi ?

Jan Fabre : C’était ma recherche. Comment mettre au jour les relations entre la représentation des corps dans la peinture classique et la représentation des corps sur une scène. Puis j’ai entremêlé cette exploration avec l’illusion théâtrale. En ce temps là, je ressentais la nécessité de plonger les acteurs dans les questions du « temps réel » et de la résistance. Du coup, cela provoquait un conflit entre le réel et l’illusoire, d’où le conte de fée mis en scène au sein même du Pouvoir des folies théâtralesLes Habits neufs de l’empereur sont emblématiques de cette idée : on « voit » les magnifiques habits alors que le roi est nu.

Dans Le Pouvoir des folies théâtrales c’est la date de création de L’Anneau des Nibelungen – 1876 – de Wagner qui donne accès à la scène ou au Walhalla du Théâtre. Pourquoi cette référence wagnérienne ?

Jan Fabre : Quand j’étais jeune, j’ai été très influencé par les textes de Richard Wagner. Mais le Ring fait entrer le théâtre dans l’art contemporain car c’est la première fois que les mots, la musique, la scénographie et la lumière sont placés au même niveau dans l’histoire du théâtre avec le concept de « Gesamkunstwerk » – ou d’art total. Entrer sur la scène, c’est accepter ce moment historique. Mais Wagner apparaît aussi à d’autres moments de la pièce, comme dans le Liebestod (tiré de Tristan et Isolde NDLR) . Mais c’est également lié à toutes les autres références qui donnent les dates de l’histoire du théâtre, du ballet, de l’opéra…

DCH : À ce propos, citez-vous les mêmes œuvres qu’il y a trente ans ?

Jan Fabre : C’est exactement la même chose à quelques détails près. Nous avons même restauré les anciennes cassettes de musique, les vieilles bandes-vidéo. Ce qui est différent, ce sont les interprètes. C’est une jeune génération magnifique, mais bien sûr, ils sont formés, professionnels et ils savent pourquoi ils veulent travailler avec Jan Fabre quand ils auditionnent (plus de 1400 interprètes ont auditionné NDLR). Alros qu’il y a 30 ans, la génération de Wim Vandekeybus (qui jouait le Roi, NDLR) ne savait rien, n’étaient pas des professionnels mais étaient affamés de tout. Ils avaient un puissant désir d’expérimentation, ils étaient très jeunes et tout leur était totalement inconnu. La nouvelle compagnie est, d’une certaine façon, mieux formée.

DCH : Pouvez-vous nous parler de la nouvelle pièce Mount Olympus / 24h ?

Jan Fabre : C’est tout à fait passionnant. Voilà cinq mois que nous avons commencé à répéter. Je sens que c’est quelque chose de très fort car c’est un pan de moi-même que je livre, une sorte de témoignage sur ma façon de créer et ma façon de penser. Ce qui est palpitant aussi, c’est que ça me permet de distinguer que toute la mythologie grecque est contenue là. J’ai dû relire toutes les tragédies grecques c’est très inspirant. À partir de ces tragédies, j’ai écrit un nouveau texte sur les rêves, les cauchemars, l’insomnie, la narcolepsie et j’ai également choisi de piocher seulement dans les tragédies où les familles s’entretuent, comme l’Orestie, ou le cycle Thébain, et ça se mêle dans mon texte à une profonde recherche sur les relations entre rêves, inconscient, oracles et tragédie. Et bien sûr, cela débouche sur ce que peut signifier aujourd’hui la catharsis dans notre société. J’ai également le sentiment, alors que de nos jours tout va très vite, tout doit être populaire, où l’on tend toujours plus vers un divertissement, que créer une œuvre comme celle-là, c’est aller se battre contre tout ça. J’ai la chance de pouvoir répéter un an pour une production, c’est exceptionnel et c’est magnifique d’avoir ce temps pour chercher, pour inventer.

DCH : Quels en seront les interprètes ?

Jan Fabre : J’aurais les quatre générations d’interprètes de ma compagnie, les meilleurs dans chaque génération. Je trouve ça très beau. Il y aura, entre autres, Els Deceukelier, Marc Moon Van Overmeir, Renée Copraij, Anabelle Chambon, Ivana Jozik, Anthony Rizzi, Cédric Charron…. Certains d’entre eux ont créé Le Pouvoir des folies théâtrales. Et c’est formidable de voir les jeunes s’inspirer des vieux, mais aussi l’inverse ! Du coup, c’est aussi un peu mon histoire et celle du théâtre, de la scène et de la danse. En même temps, je travaille dans un laboratoire ma façon d’enseigner mais aussi tout ce que nous avons mis au point tout au long de ces années où nous avons travaillé ensemble.

Et l’année prochaine, je vais publier un livre qui contiendra mes « lignes directrices ». Il s’intitulera «  Les lignes directrices pour les perfomers du XXIe siècle ». Il y aura tous mes exercices, ma façon d’enseigner, mes directives. C’est une vraie recherche scientifique, transdisciplinaire. J’ai passé trois ans à collaborer avec l’universté d’Anvers avec des méthodes de sciences exactes pour enregistrer toutes mes recherches, mes constructions, mes méthodologies artistiques et les analyses du squelette, des muscles, des organes, de la respiration et bien sûr, notre façon de travailler dans la compagnie.

Ces deux réalisations existeront comme une forme de témoignage de ma façon de penser, sur la manière d’entraîner un performer, sur la signification du théâtre…. Je suis vraiment heureux d’avoir fait ça. Même si ce n’est pas si extraordinaire, on ne le fait qu’une fois dans sa vie et il fallait que je le fasse maintenant et pas dans dix ans.

DCH : Comment vos interprètes peuvent-ils tenir ce marathon scénique ?

Jan Fabre : Travailler un an sur une seule pièce, c’est lourd, physiquement et mentalement.

Les interprètes dorment en scène, ils s’éveillent et se rendorment puisque nous travaillons à partir du sommeil et des rêves, des états physiques de demi-sommeil, de torpeur, de léthargie… et sur les réactions à de tels états. Tenir 24h a quelque chose de Prométhéen, ils jouent, ils dansent, ils mangent… C’est une dramaturgie en fait très complexe car il faut prévoir qui va pouvoir rester éveillé, qui va devoir sortir, etc. En même temps, c’est très chaleureux, les interprètes cuisinent les uns pour les autres, c’est très beau. Ce sont des rituels très profonds qu’ils doivent traverser, avec des connexions très originaires, basés sur une recherche quotidienne. Qu’est-ce qu’être en scène, jouer, danser, être ensemble ? Mais n’oublions pas que les Dyonisies duraient trois jours et trois nuits.

DCH : Qu’avez-vous prévu pour la scénographie ?

Jan Fabre : La scénographie sera simple mais efficace. La pièce va tourner beaucoup et déjà pour C’est du théâtre comme c’était à espérer et à prévoir, qui dure huit heures, il faut quatre ou cinq jours de montage pour préparer les lumières…

DCH : Vous qui avez déjà été attaqué pour vos idées radicales, notamment par l’extrême droite flamande, que pensez-vous des récents événements qui ont secoué la France et l’Europe ? 

Jan Fabre : J’étais à Marrakech avec Bernard Henri Levy pour travailler sur mon exposition de Namur quand j’ai vu ça à la télévision. J’ai été très choqué. D’abord par les événements. Ensuite par tous ces gens qui affirmaient « je suis charlie » sans pour autant partager les idées de Charlie Hebdo. Je pense que nous avons à pardonner et non pas condamner l’islam en tant que tel. Nous devons être de bons catholiques et croire à la vertu christique de tendre l’autre joue et de pardonner. C’est le premier pas à faire pour les choses aillent mieux et rendre le monde meilleur. Ce qui est arrivé est horrible, bien entendu, mais ce n’est pas par la stigmatisation des autres que ça va s’arranger. Il est temps d’essayer de comprendre pourquoi ils agissent ainsi. Bien sûr, c’est difficile, mais si nous ne prenons pas cette peine il y aura de plus en plus de haine et d’agressions. Je crois qu’il faut essayer de communiquer. Ce n’est pas la voie choisie par les média où l’on ne parle qu’intégrisme et radicalisme. Nous devons parler avec eux de toutes les façons possibles pour les éduquer, et peut-être arriverons nous à quelque chose. C’est ma forte croyance en l’humanité qui me suggère cela.

Propos recueillis par Agnès Izrine

À venir : Jan Fabre, hommage à Jérôme Bosch au Congo (2011-2013). Du 28 février au 11 avril à la galerie Daniel Templon. Paris

Le Pouvoir des folies théâtrales

C'est du théâtre comme c'était à espérer et à prévoir

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