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Entretien avec Bouside Ait Atmane et Saïdo Lehlouh

Bouside Ait Atmane et Saïdo Lehlouh, chorégraphes membres du collectif FAIR[E], qui dirigent le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis 2019, célèbrent les trente ans de Suresnes Cités Danse avec une création intitulée Hip Hop opening

DCH : Pouvez-vous nous dire un mot sur Hip Hop opening, le spectacle que vous créez à Suresnes ?

Bouside Ait Atmane : Il y aura dix danseurs avec nous et le DJ Sam One qui s’occupe de la musique et qui prend part à la proposition d’Oliver Meyer. Il a été invité sur ce projet au même titre que nous. La création s’articule autour du besoin de fêter le festival, d’un besoin de fêter la danse, de fêter le spectacle. Avec Saïdo, nous avons invité des danseurs que nous connaissons et que nous côtoyons dans les cadres qui sont les nôtres : dans ceux des battles, des jams, des temps morts, des camps de vacances… Pour certains d’entre eux, cela fait une quinzaine d’années que nous les connaissons. Nous avons décidé d’inviter des danseurs de plusieurs générations différentes, de plusieurs esthétiques différentes. Nous avions envie de vivre un moment que nous n’avions pas eu l’occasion de vivre comme ça, depuis que nous nous connaissons, en réalité. C’est la première fois que nous pourrons confronter ce que nous avons envie de déposer au plateau avec eux, de les inviter aussi de à positionner dans nos propositions. Tout cela s’articule autour de gestuelles hip hop. Dans un moment qui est une espèce de fantasme de la célébration. De chorégraphie d’une célébration. Cela s’articule autour d’un magnifique buffet où l’on déguste les mouvements, on  déguste la musique.

DCH : Quand, où et comment avez-vous découvert le hip hop ?

Bouside Ait Atmane : Par les jeunes filles avec lesquelles j’étais au lycée. C’était en 2004, ça commence à chiffrer ! Là où j’habitais, à Champigny-sur-Marne. Je leur ai demandé où elles apprenaient ça. Je les ai suivies. Et je n’ai pas arrêté.

DCH : Les jeunes filles ne faisaient pas du double dutch, avec des élastiques ?

Bouside Ait Atmane : Ah ! Non, non. Pas du tout. Elles faisaient du break, elles faisaient du jazz rock, du locking, du popping. C’était déjà pile dans ce qu’on peut appeler les danses hip hop. Sans que je comprenne vraiment ce qu’elles faisaient, il y avait un truc qui me plaisait dans leurs performances et dans la façon de s’affirmer. Elles qui étaient plutôt réservées, à ces endroits-là, je les redécouvrais. Et ça m’a touché.

Saïdo Lehlouh : J’ai commencé la danse en 2001, à Soisy-sous-Montmorency, dans le Val-d’Oise. J’ai été invité par des amis avec lesquels je jouais au foot à venir dans une salle d’entraînement et, sur le chemin, j’ai appris mon premier mouvement de break parce que je ne voulais pas arriver là-bas sans rien ! Ensuite, je suis parti en colonie de vacances où il y avait déjà des gens qui dansaient et qui faisaient des acrobaties. J’y ai appris de petits trucs. Et à la rentrée, j’ai adhéré à la salle avec la personne qui m’a enseigné mes premiers pas, Gil Komika, qu’on surnomme « Tonton Renard ». Au mois de décembre 2001, nous avons fait notre premier show sur scène qui a été clôturé par Wanted Posse. Au bout de trois-quatre mois de danse. C’est ce qui m’a lancé dans cette culture.

DCH : C’est à partir de là que vous avez commencé à pratiquer la danse régulièrement ?

Saïdo Lehlouh : Oui.

Bouside Ait Atmane : De mon côté, dans la salle où j’allais, il y avait trois enseignants. Deux d’entre eux, Emmanuel et Voisin, dansaient dans le même groupe, ABS. C’était une école, c’est-à-dire une façon de travailler et un style assez prenants. Rapidement, on prend la chose au sérieux, sans se prendre au sérieux. La qualité de la pratique est essentielle dès le début. Et de 2004 jusqu’à aujourd’hui !
 

DCH : Quand estimez-vous être devenu un danseur digne de ce nom ?

Bouside Ait Atmane : La semaine prochaine ! J’essaie d’être digne de ce que j’ai envie de faire, en réalité.

Saïdo Lehlouh : La question est un peu particulière. C’est très rare de se qualifier soi-même ainsi. Nous sommes dans une pratique artistique en mouvement. À un certain moment, on va se sentir proche de sa sensibilité. Quinze ans après, dix ans après, ou même trois mois après, ça va être l’inverse. Ce sont des hauts et des bas, des points de vue, des changements d’angle. Dans une pratique de danseur, on n’est pas carriériste. 

DCH : Disons alors : quand êtes-vous devenu professionnel ?

Bouside Ait Atmane : Quand j’ai été rémunéré pour ça ?

DCH : Oui, c’est ça.

Bouside Ait Atmane : En réalité, j’ai toujours pris ma pratique au sérieux. C’est juste qu’au début je n’étais pas payé pour ça. Après, les choses se sont professionnalisées. C’est arrivé vers 2009. À partir de là, je me suis dit que c’était ça et pas autre chose ! Que c’était comme ça que je ferais ma vie. Dans cet univers-là, dans ces modalités avec les gens que je côtoyais, dans ce rapport au temps, ce rapport au temps mort, dans ce rapport à la productivité.

Saïdo Lehlouh : Pour moi, ça a démarré en 2007. Avant, je donnais des cours, j’avais une association, je formais des enfants et tout ça. En 2007, j’ai eu l’occasion de travailler sur un projet franco-allemand, avec Niels Robitzky – « Storm » –, produit par Camin Aktion – Dirk Korell. C’était juste avant les examens du bac, je crois. Ce projet m’a pris deux mois, à Berlin. Il a tourné par la suite. J’ai découvert ce qu’était le travail d’interprète au sein d’une création. À partir de là, j’ai décidé d’en faire mon métier.

DCH : Quand êtes-vous passé du statut de danseur à celui de chorégraphe ?

Saïdo Lehlouh : Pour ma part, ça a été en 2011. Mon travail avec Storm m’a permis de rencontrer Raphael Hillebrand, Sébastien Ramirez, Honji Wang qui étaient déjà dans des processus de création. Ça m’a intéressé de voir comment ils travaillaient. J’ai été interprète pour Wang-Ramirez cette même année. J’ai fait un duo avec Sébastien Ramirez, parce que Honji Wang s’était blessé. Et nous avons fait une petite tournée de ce duo-là. Par la suite, j’ai rencontré Chloé Le Nôtre qui m’a invité à une résidence avec mon groupe, le Bad Trip Crew, qui a lancé mon premier essai chorégraphique. Une première pierre était posée dans l’univers de la création ! J’ai continué, à côté de ça, de faire de la compétition, de donner des cours, de faire des performances et des spectacles de rue aussi.

Bouside Ait Atmane : Pour moi, ça a été en 2013. Je me suis connecté à cette époque avec un danseur, Yanka Pédron. La danse a lié notre amitié. Nous avons eu envie de participer à un concours télévisé où il fallait présenter des shows. Nous avons fait nos premiers essais chorégraphiques dans ce cadre-là. 

DCH : Quelle était l’émission ?

Bouside Ait Atmane : C’était Dance Street.

Saïdo Lehlouh : On était ensemble, alors ?

Bouside Ait Atmane : Oui : Saïdo était avec son groupe. Il y avait aussi Ousmane Sy, avec Paradox-Sal. Déjà une petite partie du collectif FAIR[E] !

DCH : Justement, quand et comment a été créé le collectif FAIR[E] ?

Saïdo Lehlouh : De manière très informelle. Via Chloé Le Nôtre, qui était à la direction d’Initiative d’artistes en danses urbaines,nous nous sommes retrouvés à travailler avec Céline Gallet et Marion Poupinet, les directrices-administratrices de production du Garde Robe 75 qui nous ont accompagnés dans nos démarches de résidences et de développement artistique de l’émergence des danses hip hop. J’ai commencé à travailler avec Céline et Marion en 2011, Ousmane aussi, Iffra Dia bien avant, Bouside en 2013, Johanna Faye en 2013, Linda Hayford en 2015. Ce qui a été intéressant pour nous, ça a été de discuter tout au long de ce parcours de direction artistique et de production mutualisées permettant à chacun d’aller au bout de ses idées, de ses envies, quelles qu’elle soient. Pas spécialement de la création artistique, mais aussi de l’organisation de battles, d’événements, de conférences-débats… Nous sommes au Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne depuis le 7 janvier 2019. Cela fait trois ans.

DCH : Il y a donc tous les anniversaires en même temps ? 

Saïdo Lehlouh : Trois ans, Trente ans !

Nicolas Villodre 

Propos recueillis le 5 janvier 2022. 

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