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Entretien avec Angelin Preljocaj

Un même corps a-t-il plusieurs âges ? L’âge biologique, ou bien l’âge lié à la pratique de son activité ? Angelin Preljocaj a tenté d’y répondre dans Birthday Party, qui fait partie du programme Over Dance produit par Aterballetto et présenté à Chaillot à partir du 15 février 2023.

Danser Canal Historique : Comment avez-vous choisi les danseurs de ce projet ?

Angelin Preljocaj :J’ai organisé trois auditions, à Paris, à Aix-en-Provence et à Reggio Emilia puisque Aterballetto est coproducteur. Trois cents personnes se sont présentées. Dans chacune des villes, j’ai veillé à distinguer trois catégories. Les non-danseurs que j’ai sélectionnés en premier lieu, les danseurs amateurs, que j’ai vus ensuite, et une catégorie anciens danseurs professionnels que j’ai pris soin de choisir en fin de journée parce que je ne voulais pas que le regard et l’attention soient accaparés par eux. Ce qui m’a permis de faire des sélections parmi les non-danseurs qui avaient néanmoins eu une activité physique et de découvrir-là des petites pépites, des personnalités, des corps. Dans la distribution finale qui est répartie équitablement entre les trois catégories, tout le monde est mélangé.

DCH : Qui sont-ils ?

Angelin Preljocaj : Les personnes que j’ai recrutées ont entre 69 et 81 ans. Ils ont des personnalités très attachantes, mais ça ne suffit pas, car mon exigence de la danse reste très aiguisée. Donc je ne relâche pas la pression. L’écriture de la dramaturgie demande un engagement corporel fort. C’est long, ça prend du temps mais ils ont une énergie, un vrai désir. C’est très stimulant. 

DCH : Dans la distribution on remarque Bruce Taylor, danseur, professeur international, et  formateur à l'école de danse de l'Opéra national de Paris et au Pôle supérieur d'enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt et Elli Medeiros chanteuse et actrice à la carrière brillante…

Angelin Preljocaj : Elli Medeiros et Bruce Taylor sont dans le projet parce qu’ils m’ont émus pendant l’audition. Elli je ne la connaissais pas du tout. Mais tous deux m’ont convaincu au niveau corporel et scénique et non par rapport à leurs antécédents.

DCH : Comment travaillez-vous avec ces interprètes ?

Angelin Preljocaj : Il faut trouver chorégraphiquement des choses assimilables par les trois groupes. Ce sont des gens qui m’ont touché pendant l’audition, qui sont venus parce que le projet les passionnait, qui avaient à la fois des personnalités et des capacités corporelles qui me laissaient espérer un travail structurant.  Je les fais travailler tous ensemble, ensuite je peux explorer des choses différentes dans les solos, duos, en choisissant plutôt de les confier à tel ou tel groupe.

DCH : Comment abordez-vous le thème du corps vieillissant ?

Angelin Preljocaj : Il y a énormément de choses à dire sur ce sujet. J’ai lu La Vieillessede Simone de Beauvoir qui est au grand âge ce qu’est Le Deuxième sexeà la condition féminine. L’ouvrage s’apparente à la même analyse historique, sociologique, biologique. Elle passe au radar tous les paramètres de la vieillesse, aussi bien dans le courant de l’histoire qu’au niveau scientifique ou social, politique. C’est une somme. C’est une réflexion très profonde. Une formidable mine d’information, de pensée.

DCH : Comment faire passer cette somme par le mouvement ?

Angelin Preljocaj : C’est la force de l’art, en une image, un tableau, un regard, on peut faire passer des choses d’une puissance, d’une profondeur qu’il faudrait parfois en littérature ou dans un essai des pages et des pages pour les obtenir. Peut-être un peu immodestement, j’aimerais pouvoir, non pas égaler ce livre monde, mais au moins faire toucher du doigt émotionnellement quelque chose de ça.

DCH : Et vous qu’est-ce qui vous a intéressé dans le fait de travailler avec des corps âgés ?

Angelin Preljocaj : Ce sont des corps qui nous disent autre chose en soubassement plutôt que directement. C’est dire que le corps diffuse vraiment quelque chose de singulier, lié au temps, à la vie, et le même mouvement pratiqué par un corps âgé n’a pas la même résonance. Ce n’est pas qu’une question de puissance mais presque de matérialité du corps, de ce qu’il a traversé et qui finit par s’inscrire au plus profond des chairs.

DCH : Depuis quelques années, on voit de plus en plus souvent des corps plus âgés sur scène. Qu’est-ce que ça dénote selon vous ?

Angelin Preljocaj : C’est probablement une tendance bénéfique, la volonté d’inclure toutes les franges, toutes les spécificités de notre société et je pense que ça va dans le bon sens, De ne pas laisser qui que ce soit au bord de la route. En tout cas, quand on est humaniste c’est ce dont on rêve. Que chacun soit partie prenante de l’évolution de nos valeurs, de nos espoirs pour un monde meilleur. Y compris l’idée que nous pouvons apprendre de toutes ces franges singulières de l’humanité.

DCH : N’est-ce pas contradictoire avec notre société qui promeut plutôt la jeunesse éternelle ?

Angelin Preljocaj : Oui, bien sur, mais j’ai l’impression que là aussi ça bouge. Dans les années 80, 90, 2000 il y avait cette idée de devenir vieux tout en restant jeune. Aujourd’hui, j’ai l’impression que nous assumons mieux d’être vieux sans renoncer à la beauté car ce n’est pas un critère de durée.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Over Dance - Aterballetto / Angelin Preljocaj / Rachid Ouramdane 
A Chaillot - Théâtre national de la Danse du 15 au 23 février 2023

Lire l'entretien avec Rachid Ouramdane

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