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Entretien avec Ambra Senatore

Le programme du Centre Chorégraphique de Nantes est chargé. Ambra Senatore, la directrice, tourne un duo, Il nous faudrait un secrétaire, créé avec Marc Lacour, et prépare une saison 2021-2022,  marquée par un anniversaire important, celui du CCN lui-même. En attendant un solo, une pièce de groupe, mais toujours avec l'idée d'en faire un moment de partage.

Danser Canal Historique : Pourquoi avoir souhaité composer ce duo avec Marc Lacour ?

Ambra Senatore : Parce que quand nous nous sommes rencontrés pour une pièce d'ensemble, John (2012), il est venu auditionner et il y a eu tout de suite quelque chose de proche entre son univers et le mien. En 2018, la Maison de la musique de Nanterre m'a demandé d'organiser le Bal à Nanterre. C'était en prélude à la programmation de la pièce jeune public Nos Amours bêtes (sur un texte de Fabrice Melquiot, 2013). J'ai proposé à Marc de travailler avec moi parce qu'il est particulièrement à l'aise avec l'univers des enfants, beaucoup plus que moi, et qu'il s'agissait de faire quelque chose dans cette direction. C'est très bien parti avec ce bal et cela a déclenché une envie de créer ensemble.

DCH : Bien que créée à deux, cette pièce se rapproche beaucoup des pièces que vous avez signées seule. Comment avez-vous travaillé avec Marc Lacour ?

Ambra Senatore :  Le processus de composition a été très différent de celui des pièces que je compose seule. Mais Marc est très proche de ma façon de penser. Déjà lors de notre première rencontre, sur John, dans le travail, il avait cette démarche un peu de puzzle, d'éléments qui se combinent. Il est complètement dans son univers, mais également dans cette façon de faire qui est aussi la mienne. Cela se remarque moins parce qu'il n'a pas beaucoup d'œuvres qui tournent, mais il est proche de cela. Ensuite, dans l'interaction avec le public, il a un vrai savoir-faire. Cette partie du duo, avec les questions au public, c'est vraiment lui. 

DCH : Il est question de départ, de voyage. De quel voyage exactement est-il vraiment question ?

Ambra Senatore : Ce n'est pas facile à résumer. Au début du processus de composition, nous avons fait beaucoup d'improvisations et nous faisions « des traversées »… C'est-à dire que Marc, surtout lui, traversait le studio pendant que je le chargeais de tous les objets que je trouvais . Il y avait cette idée du transfert de chez soi qui émergeait et donc la question du voyage et d'un départ. Il y a eu une pause durant laquelle j'ai mis en place des « conversations » avec des personnes très éloignées de la danse. Je m'interrogeais sur la valeur de ma danse. Pour rencontrer des gens vraiment éloignés de notre domaine, nous nous sommes installés dans des parcs et des gares, et naturellement la question de l'échange et du déplacement s'est de nouveau posée. C'était comme de la recherche fondamentale et tout cela ne se voit pas dans le duo, mais tout est revenu avec la question des migrations qui m'a beaucoup préoccupée ces dernières années. C'est une question qui peut toucher tout le monde, mais particulièrement une Italienne. L'Italie est une terre d'immigration. Je ne connais pas de famille qui n'ait pas quelqu'un qui, dans l'histoire, n'ait pas immigré. Et aujourd'hui l'Italie est devenue une terre d'émigration tandis que l'immigration y continue, mais ce sont les gens éduqués qui partent. 

On ne peut pas dire que le duo est une pièce sur l'immigration, mais la question des départs et des retours revenait tellement dans nos improvisations que cela a fini par s'imposer.

DCH : Pourquoi ne pas avoir fait clairement une pièce sur ce thème ?

Ambra Senatore :Je me dis toujours que quand on reçoit de l'argent public pour travailler, on doit avoir un respect des gens. En tant que spectatrice je trouve pire que tout de coller un « truc politique » alors que nous sommes des privilégiés. J'ai toujours une réticence, je me demande : mais qui suis-je pour parler de cela ? Cela viendra peut-être, mais pas sur ce duo. 

DCH : Comment s’organise la saison 2021-2022 du CCN ?

Ambra Senatore : On continue, mais encore plus avec le sentiment de l'urgence de ce lien entre le spectateur et la création. Après presque un an et demi où les résidences d’artistes ont été coupées du public, toute l'équipe, Erica Hess [Directrice déléguée] et moi, avons à cœur de retisser ce rapport direct. Les résidences sont de nouveau ouvertes au public et au territoire. Car Nantes est un endroit où la création de la danse est très vivante et nous voulons renouer ces liens. Nous ne choisissons pas seul, mais avec nos partenaires pour assurer à ces créations des diffusions. 

Alors, sur un autre plan, nous nous sommes aperçus qu'il y avait des artistes dont les projets n'ont pas été directement repris avec Africa 2020 et qui nous intéressaient. Et puis il y a l'Italie et la Méditerranée qui se sont imposées. Alors nous avons décidé de mettre en avant le mot de voyage.

DCH : Par exemple ?

Ambra Senatore : Il y a deux italiens, Enrico Ticconi et Ginevra Panzetti. Nous les avons repérés dans le réseau Aérowaves. Je les ai un peu suivis, mais c'est surtout Erica qui les a revus plusieurs fois et nous avons décidé de les soutenir et de produire leur création Ils seront en résidence au printemps pour une création fin 2022. 

Dans les projets en cours, il y a celui pour la jeunesse de Salia Sanou. Il a déjà fait une résidence et nous préparons la création au Grand R à la Roche-sur-Yon. Car c'est un autre aspect du projet : le CCN est toujours en relation avec ses partenaires.

Un autre exemple : Massimo Fusco qui vient du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Il élabore un projet où il travaille dans les hôpitaux. Il crée une installation autour du toucher, avec une immersion sonore et un « salon de massage et d'écoute ». Ce projet sera présenté au cours du festival Trajectoires. Et il y aura une création de Satchie Noro, notre artiste associée.

DCH : Pourquoi lui avez-vous proposé d'être votre artiste associée ?

Ambra Senatore : D'abord nous voulions une femme. Nous avons constaté que nous recevions beaucoup moins de demande de chorégraphes femmes. Il y a beaucoup de femmes dans la danse, mais elles semblent avoir plus de mal à s'imposer comme chorégraphe. 

Mais ce qui nous a particulièrement touché, ce sont les qualités relationnelles de Satchie avec tous les types de publics, surtout les amateurs. D'ailleurs elle nous a dit ne pas souhaiter donner l'Entraînement Quotidien du Danseur. Elle préfère aller vers les amateurs. Nous avons choisi une personne et à cause de ces qualités d'extrême humanité. Et puis nous ne voulions pas d'un jeune chorégraphe, mais quelqu'un qui possède la maturité et donc l'autonomie.

DCH : La saison du CCN va célébrer les 30 ans de l'institution. A qui et à quoi sert ce genre d'anniversaire ?

Ambra Senatore : Cela permet aux institutions de mesurer comment les choses avancent. Les partenaires qui financent les activités du CCN y sont assez attachés.

Mais personnellement je suis aussi très touchée par les anniversaires. La récurrence des dates, le retour de ces rendez-vous… Je mets dans les cycles de la vie une grande importance. Sur un plan tout à fait personnel, j'accorde une grande importance aux anniversaires. Dans celui d'un enfant, j'imagine souvent les parents fêtant le même anniversaire au même âge. Je suis attentive à ce passage du temps. Je sais très bien que rien ne change avec un anniversaire. Le jour d'avant sera presque le même que le jour d'après. Mais cette symbolique d'une date m'a toujours parlée.

Pour le CCN, 30 ans, cela m'a semblé important. Ce fut 30 ans d'une histoire collective, celle de la danse en France, dont le CCN de Nantes a bien sûr fait partie et c'est aussi l'occasion de relancer la réflexion sur la fonction de ce lieu. Cet anniversaire sera conçu autour des personnes qui ont participé à cette histoire. Il sera fait pour les artistes, mais aussi pour les spectateurs.

DCH : Vous prévoyez d'inviter les fondateurs, Claude Brumachon et Benjamin Lamarche ?

Ambra Senatore : Nous programmons en décembre Icare [1996], le solo composé par Claude Brumachon pour Benjamin Lamarche. Formellement, cette programmation survient en 2021, dont avant la date officielle de l'anniversaire. Le CCN a officiellement été fondé en 1992. Mais, pour qui veut entrer dans les détails, le CCN était déjà occupé dès décembre 1991 et il y avait des activités…

A l'occasion, nous allons lancer une récolte de souvenirs des spectateurs. Que ce soit des écrits, des photos, des documents. J'aimerais demander, si c'est possible, à Jean-Jacques Brumachon qui a été directeur technique du CCN pendant très longtemps, de construire l’objet, sans doute une boîte, qui recevra ces souvenirs.

L'apogée de cette année d'anniversaire, aura lieu durant Primavera, la manifestation festive que nous organisons au printemps dans le CCN et dans la ville. Comme cela se déroule sur un week-end, nous avons prévu une programmation pour le samedi et une fête des 30 ans le dimanche. Rien n'est encore totalement fixé et nous attendons d'être un peu plus proches de l'événement pour arrêter la programmation. J'aime beaucoup que la programmation ne se décide pas trop tôt à l'avance et Primavera permet d'avoir cette souplesse.

J'aimerais que nous puissions organiser une expo. Claude et Benjamin reviendront. Pour le reste de Primavera, j'ai remonté avec le Groupe Coline Arriga Rossa (2014) et je trouve très beau d'avoir ces jeunes présents. Satchie présentera également plusieurs choses.

DCH : Et vous préparez un solo…

Ambra Senatore : Oui mais en ce moment, c'est plutôt le duo qui est en tournée. Il crée une relation directe et génère beaucoup d'échanges y compris entre les spectateurs eux-mêmesdans la salle. Cela rentre dans cette démarche de recherche « d'être ensemble ». Je travaille beaucoup autour de cette notion. L'une des plus belles réactions que j'ai reçue à l'issue d'une de mes pièces, c'était il y a sept ans, à Bourges, après Passo, une spectatrice est venue me voir et m'a dit qu'elle avait eu l'impression de voir la pièce avec ses voisins. C'est ce queje cherche avec ce duo. 

DCH : Et le solo ?

Ambra Senatore : Ça sera un solo mais pas tout-à-fait ! C'est un projet complexe à présenter. Je veux partager le processus de création comme je le faisais quand je composais mes soli en Italie. À l'époque, j'échangeais beaucoup avec ceux qui venaient assister aux répétitions ; ce qui surgissait après ces ouvertures de répétitions nourrissait la suite de la composition de la pièce. Ces retours étaient mes regards extérieurs de l'époque. L'essentiel venait de ces interactions. 

J'ai envie de retrouver cette dynamique. Avec les lieux qui se prêteront au jeu, nous ouvrirons les répétitions en permettant aux gens d'entrer et repartir. J'écouterai tout ce qu'ils auront à me dire de la pièce, et cela me servira pour la suite de la composition. Pour le solo j'ai une grande nostalgie personnelle de l'Italie et j'ai envie de travailler sur cette nostalgie. C'est un travail sur la question du chez-soi. Et, si l'on est loin d'un lieu qui nous a nourri, quel sens prend la nostalgie ?

Ce solo sera créé au cours de la saison prochaine, mais je ne sais pas encore précisément quand. Avant il y a une création de groupe en janvier 2023. En termes de calendrier, la conjonction de ces deux projets n'est pas idéale, mais je tiens aux deux projets.

DCH : Quelle sera cette pièce de groupe ?

Ambra Senatore : Ce sera une pièce pour douze danseurs et je serai sur le plateau. J'ai une envie très claire, mais je ne l'ai pas encore exprimée vraiment aux danseurs. Je veux travailler sur les possibilités d'être ensemble, d'accueillir dans un groupe. Un individu, mais aussi comment intégrer un autre groupe à un groupe plus important. Il y aura ainsi plusieurs communautés qui traverseront ces moments de rencontre. Je veux travailler sur une écologie de la relation et sur les façons d'occuper l'espace.

Alors, les danseurs ont déjà abordé la question à travers les laboratoires de recherche que nous avons déjà menés. Ils se doutent donc du thème, mais je ne l'ai pas encore affirmé.

Propos recueillis par Philippe Verrièle

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