Entretien : Alain Platel
Le chorégraphe des Ballets C. de la B. présente à la Biennale de la Danse de Lyon la Première de sa création Nicht Schlafen. Nous lui avons demandé de nous en parler….
DCH : Pourquoi ce titre, Nicht Schlafen ?
Alain Platel : On a cherché pendant longtemps. Je voulais un mot allemand, lié à l’atmosphère musicale de Mahler. Mais on tombait systématiquement sur des clichés. C’est en lisant les petites indications de Mahler sur ses partitions que j’ai découvert ce titre. Il était écrit « Nicht Schleppen » (ne traînez pas), mais j’ai compris « Nicht Schlafen» (ne dormez pas). Cela peut-être également interprété comme un appel au public, aux gens qui rappelle l’esprit du temps dans lequel Malher a vécu mais aussi notre époque. Un monde plein de consternation et de turbulences. Ne t’endors pas, comme reste vigilant.
DCH : Vous faites un parallèle avec le début XXe siècle et notre époque. Pensez-vous vraiment qu’il existe une similitude entre les deux ?
Alain Platel : Oui. J’ai lu un livre de Philipp Blom, The Vertigo Years, sur les années 1990-1914. Il décrit ce changement rapide où de nouveaux modes de vie apparaissent, les voitures, le cinéma, les premiers enregistrements. C’est la première fois que l’on pouvait réentendre des choses qu’on avait déjà entendu ! Tout cela a provoqué de nombreux changements dans le monde et en Europe. Aujourd’hui, c’est par Internet que les choses ont changé profondément, au niveau de la vie sociale, politique, sexuelle. Je perçois donc une relation entre les deux. Ce qui ne veut pas dire que l’on va vivre cette même tragédie, cette vague de paix qui mène à la catastrophe.
DCH : Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir la musique de Mahler ?
Alain Platel : Comme toujours, je suis guidé par mon intuition. Sa musique nous parle d’un monde qui s’éteint, d’un autre qui s’allume, elle pressent les tragédies européennes imminentes et les drames à venir. Beaucoup d’éléments viennent des symphonies. Au départ, je refusais cette musique. Mais cela a été la même chose pour Wolf et Mozart ou C(h)ŒURS et Verdi. Elles contiennent une force énorme, cachée pour ceux qui ne prennent pas le temps de l’écouter. Depuis, je suis devenu un fan absolu de Mahler.
DCH : Comment avez-vous choisi vos interprètes ?
Alain Platel : C’est un mélange entre des interprètes avec lesquels j’ai déjà travaillé dans des productions différentes et qui ne se connaissaient pas et quelques nouveaux. Je suis tombé amoureux, comme toujours, de cette nouvelle équipe. Ils travaillent avec beaucoup de respect et de soutien entre eux. Je ne peux pas fonctionner dans le conflit. Nous sommes en train de rassembler le matériau chorégraphique et je peux mesurer à quel point ils sont d’un engagement absolu, dans une transe pour défendre une œuvre qui n’existe pas encore puisque nous sommes à six semaines de la création.
DCH : Pour la scénographie, vous travaillez avec la plasticienne Berlinde De Bruyckere pour la première fois. Qu’est-ce-qui a guidé ce choix ?
Alain Platel : J’adore son travail de plasticienne. Elle crée pour Nicht Schlafen une sculpture avec trois chevaux entourés d’une énorme couverture. Ce sont donc trois éléments prépondérants de son œuvre que j’aime beaucoup qui reviendront sur la scène. On a fait un travail préparatoire avec elle. Elle a invité la troupe à venir voir le moulage des chevaux morts à l’université de Gand qui a une section vétérinaire. Ils ont pu les toucher, les manipuler, avec elle. On a également visité un manège.
DCH : Comment travaillez-vous sur une création comme celle-là ?
Alain Platel : Comme toujours, je commence par une période d’improvisations assez longue, pour laquelle je donne qu’elle informations. Mais je pars de propositions des interprètes. On ne connaît pas encore la direction de la pièce. C’est au bout d’un mois et quelque qu’on voit des fragments se dessiner. J’ai toujours travaillé ainsi. On part de centaines d’idées en relation avec les thèmes que nous voulons aborder. Nous cherchons aussi la relation à ce compositeur.
DCH : Faites-vous un travail particulier sur la musique ?
Alain Platel : Il y a le dramaturge musical, Jan Vandenhouwe, qui nous a raconté d’où vient cette musique et à quels éléments il faut être attentifs, sans pour autant suffoquer les danseurs d’informations.
DCH : Vienne, le début du siècle, c’est une période qui vous inspire particulièrement ?
Alain Platel : Oui abslument. C’est une période révolutionnaire à de nombreux titres. Si l’on pense à la musique, c’est la même époque que Le Sacre du printemps. Le début de carrière de beaucoup d’artistes, Kokoschka, Klimt… Et bien sûr, pour l’Autriche c’est un moment capital dans l’histoire de l’Europe. La personnalité de Mahler, forte, troublée, est aussi une source d’inspiration, comme sa relation avec sa femme, Alma. La pièce mêle donc l’intime, le personnel, l’individu à ce qui se passe dans ce temps-là. Il y a aussi l’apparition de la psychologie, de la psychanalyse avec Freud qui est présente dans toutes mes œuvres. Comme Egon Schiele aussi qui m’accompagne depuis toujours. Mais ma source d’inspiration première reste les danseurs.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Biennale de la Danse de Lyon Maison de la Danse, 27 septembre à 20h30, 28 septembre à 19h30
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