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Emilio Calcagno à Instances

Catania, Catania, la création d'Emilio Calcagno, faisait partie du temps fort consacré à l'Italie et la Sicile par le festival Instances de Chalon-sur-Saône.

DCH : Vous avez créé Catania, Catania en Sicile alors que vous vivez en France depuis longtemps. Quelle importance à pour vous ce retour aux sources de votre histoire, dans votre ville natale ?

Emilio Calcagno : J’ai quitté la Sicile en 1989. Je suis parti sans rien et je me suis formé à l’étranger où j’ai mené ma carrière de danseur puis de chorégraphe. Je savais, dès l’enfance, qu’en tant qu’homosexuel et qu’il me faudrait partir. Retourner là-bas, c’est pour moi un chemin de vie, un chemin artistique, mais il fallait être prêt à affronter les souvenirs, à se replonger dans ces origines. Catania, Catania a été créé au pied de l’Etna, dans un lieu ouvert il y a deux ans. Sur le plan artistique, humain, personnel ça avait tout d’une aventure. C’est d’abord une confrontation avec soi-même, ce que l’on a quitté, ce que l’on retrouve, et là où l’on en est. J’ai retouvé des façons d’être, de faire, culturellement différentes de la France. Mais au bout de 27 ans, et malgré tout ce que j’ai pu mettre de côté pour m’intégrer ici, je m’aperçois que j’ai toujours eu du mal à comprendre les mécanismes français Aujourd’hui, je me sens Sicilien plus encore qu’Italien. C’est une partie de la Méditerranée qui a toujours été envahie par des arrivants d’origines diverses qui ont laissé des traces culturelles très fortes. De ce fait, les Siciliens ont développé un complexe de supériorité et d’infériorité.

DCH : Comment avez-vous mis en place ce projet entre la France et la Sicile ?

Emilio Calcagno : Cela a été très complexe de mettre en place ce projet, de le structurer, de le faire comprendre, plus encore en France qu’en Italie. Il faut dire que dans l’Hexagone, on connaît très mal cette partie de la Méditerranée qui comprend aussi Chypre, la Grêce ou Malte. C’est un carrefour important et pourtant peu de choses nous arrivent de là-bas. En France, le tropisme méditerranéen c’est plutôt le Maghreb ou le Moyen-Orient.

DCH : Quelles sont les différences culturelles dont vous parlez ?

Emilio Calcagno : La différence est flagrante. Cette pièce a été créée entièrement en Italie, présentée à un public peu habitué à la danse. Et le projet a été accueilli avec enthousiasme, idem à Bolzano, dans le nord de l’Italie. Les techniciens du Théâtre Biondo à Palerme étaient ceux qui avaient travaillé avec Pina Bausch pour Palermo, Palermo. Au début, ils étaient circonspects. À la fin de la journée de répétition, ils ont tellement aimé qu’ils sont revenus travailler gratuitement car certains n’avaient pas été payés depuis trois mois.

Ici, j’ai présenté un « teaser » de quatre minutes à la DRAC, devant 18 personnes qui m’ont accusé de dégrader l’image de la Femme. Certes il y a une certaine violence, une présence des femmes très importante et cette histoire religieuse de Sainte-Agathe, martyre. Mais je me suis senti profondément blessé par cette accusation. J’ai tout de même continué mon chemin, le projet est sorti de terre en me battant contre deux choses absurdes : la mafia en Italie et les « experts » de la DRAC en France !

DCH : Vous avez reçu des menaces ?

Emilio Calcagno : J’ai vécu à Catania jusqu’à 19 ans. J’ai connu le pire de la mafia. En y retournant, il y a des réflexes qui reviennent, de l’ordre de la survie. C’est une ville baroque. On vit entre la mer et le volcan. Ce sont des conditions très précaires mais on y est habitué. Quand j’étais enfant, je voyais l’Etna quand j’ouvrais mes fenêtres. La menace de la mafia a été résolue rapidement.

DCH : Comment avez-vous choisi vos danseurs ?

Emilio Calcagno : J’ai fait trois auditions, à Catania, Rome et Paris. 500 danseurs se sont présentés, j’en ai retenu dix. C’est une équipe majoritairement composée d’Italiens, notamment du Sud, ainsi qu’une Belge et une Anglaise qui font contrepoint. Ils sont jeunes, mais malgré la différence d’âge et d’expériences, nous avons trouvé des points communs, des codes, des façons de se parler proches des miennes.

Les danseurs que j’ai trouvés sont formidables, c’est une vraie rencontre. Ils sont intelligents, cultivés, et ont une force, une richesse intérieure qui leur permet de vite comprendre et détourner les propositions. Il y a par exemple un garçon qui vient du fin fond de la Sicile et porte quatre vies, quatre générations dans son corps : sa mère, sa grand’mère, son arrière-grand-mère. La danseuse qui joue la Sainte connaît par cœur ces relations de la grâce et de la dette. Chez nous, il faut tout donner pour avoir quelque chose en retour. C’est, bien sûr, cette même notion que l’on retrouve dans la mafia ou dans la politique sous nos latitudes. Il faut presque se prostituer pour obtenir n’importe quoi. C’est pourquoi cette pièce ne pouvait être faite que par eux.

DCH : En quoi les rapports humains sont-ils différents ?

Emilio Calcagno : Il y a une différence majeure. Les rapports sont complexes. Ils nécessitent des codes pour entrer dans un dialogue. Il y a toujours une forme d’ironie, de dérision qui consiste à rire de tout. En ce sens, la domination arabe nous a laissé des traces et nous partageons une même forme d’humour très présente. Ensuite, les paroles  sont plus directes, on prend moins de pincettes qu’ici pour dire les choses. Et puis il y a les odeurs, le côté populaire, cru, sans chichi. La pièce est une sorte de Sacre méditerranéen. Personne ne sort de scène.

DCH : Qu’avez-vous retenu de la Sicile dans votre pièce ?

Emilio Calcagno : La pièce a été créée très rapidement. Elle s’attaque au religieux, à l’omerta, à la famille, qui est la colonne vertébrale de la société sicilienne. Comme l’Etat est peu présent, c’est elle qui aide, soutient ou refuse. J’ai voulu des corps électriques qui prennent le contrepied de la chaleur écrasante qui anéantit tout, l’énergie, la volonté, et même la pensée. Donc sur la musique électro de Pierre Le Bourgeois, j’ai créé une chorégraphie toute en décharges, pour que les corps puissent se battre, se défendre jusqu’au dernier moment, comme les anguilles que l’on tire de l’eau.

En France, c’est l’individualisme qui prime. En Sicile, c’est le groupe qui existe et non la personne en tant que telle. Je l’ai traité comme ça dans la pièce, ils se tiennent toujours les uns aux autres. La présence de la femme est exacerbée, à la fois dans mes souvenirs et dans la réalité. Elle a une force peu commune avec quelque chose de schizophrène. C’est elle qui crée l’homme sicilien, une sorte de faux macho aux bottes de la femme. Entre elles, elles développent une violence inouïe, elles sont prêtes à tout pour que leurs hommes obtiennent ce qu’ils veulent et pour empêcher les autres femmes d’en faire autant. Elles se crèpent le chignon en pleine rue. En même temps, il y a un poids du silence, du non-dit énorme. Au fond, elles portent le poids de l’insularité. Je pense que cette sorte de schizophrénie vient de l’homme qui lui laisse une place, une responsabilité énorme : les enfants, c’est elle, le budget, c’est elle, se nourrir, c’est elle aussi etc. Ça génère une forme de folie, de jalousie permanente.

Ma mère est morte cinq jours après l’avant première. Elle avait eu une vie plutôt débridée mais était la première à critiquer les autres femmes. Elle passait, comme les autres, son temps à la fenêtre. Il y a une sorte de folie d’observation, et le regard des autres est ce qui permet de vivre. Dans la rue, chacun s’examine, se jauge et c’est un moment de bonheur.

DCH : Allez-vous continuer dans cette veine « sicilienne » ?

Emilio Calcagno : J’espère que c’est une expérience qui va se prolonger. J’aimerais créer une suite à Catania, Catania.  Le sicilien est une langue où il n’y a pas de futur. Ça en dit long, ça permet de comprendre beaucoup de choses. La notion du temps n’est pas la même.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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