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« Eh bien, dansez maintenant » d'Ilka Schönbein

La marionnettiste dansante met son corps en jeu, avec plus de finesse que jamais. Contes et fables n’ont qu’à bien se tenir...

Chez Ilka Schönbein, la marionnette est un art du corps entier. On ne sait qui fait danser l’autre, quand cette chorégraphe prête vie aux créatures avec lesquelles elle dialogue et fusionne. Sans s’en rendre compte, on oublie complètement la présence du corps de Schönbein, dès qu’elle met en jeu une des créatures d’Eh bien, dansez maintenant, les manipulant avec un avant-bras, un coude, un pied, une jambe, le buste ou une épaule. Cette chorégraphie cachée, cette technique forgée en une vingtaine d’années font de Schönbein la marionnettiste la plus chorégraphique et la plus surprenante du monde.

A partir de son spectacle fondateur Métamorphoses, cette virtuose du geste, originaire de Darmstadt en Allemagne et formée chez Albrecht Roser à Stuttgart, était l’égérie du festival Mimos, dans les années 1990. Au fil de ses créations, l’artiste de rue a conquis les théâtres français et trouvé des ports d’attache comme le Gand Parquet et aujourd’hui le Mouffetard, dédié aux arts de la marionnette.

Dans Eh bien, dansez maintenant, sa dernière création, elle évoque différents contes et fables, de Grimm à La Fontaine, mais se libère de toutes obligations narratives. Elle n’incarne plus de personnage, mais est une sorte de conteuse corporelle et chorégraphique qui s’approprie et réinterprète les fureurs de la marâtre dans Blanche Neige ou les facéties de la cigale.

Corps recomposés

Elle désarticule les histoires pour les remonter tel un Picasso, tout comme elle fait avec les corps, qu’il s’agisse d’une grand-mère ou d’un oiseau-squelette. En fusionnant son propre corps avec celui de sa marionnette, Schönbein désarticule la créature mais relie tête, buste et jambes qui ne se dispersent jamais tout à fait.

Qu’elle se tienne debout ou assise, immobile ou en mouvement, on décèle toujours cette position des jambes, légèrement inclinées qui portent un corps tout entièrement prêt à rebondir, où l’énergie cinétique se rassemble dans une seule position corporelle, comme dans les sculptures de Rodin, captant l’énergie d’une danseuse.

Métamorphoses

Elle ne lâche rien de son art de la métamorphose, au contraire. Racines, cheveux, résine et articulations sont inséparables, contenus les uns dans les autres. Un changement d’angle dans le corps d’Ilka, et l’oiseau prédateur auquel elle prête ses bras se transforme en araignée, en vieille femme ou en bébé. Elle atteint ici un sommet de son art du geste, qui se conjugue à merveille avec un sens de la  mise en scène affiné, dans un équilibre parfait entre narration et abstraction, poésie et terreur, force visuelle et musicale.

Eh bien, dansez maintenant se regarde tel un livre de contes, où les dessins se mettent à vivre, dans l’imaginaire d’un lecteur qui n’a plus d’âge mais juste la tête pleine d’images, celles que Schönbein ravive, libère et fusionne, autour des thèmes qui lui sont chers, où elle se dédouble en célébrant l’énergie vitale face à la pauvreté, au temps qui passe et à la mort qui guette. Et chaque geste, qu’il soit chorégraphique, marionnettique ou scénique est d’une justesse absolue.

Thomas Hahn

Vu le 13 octobre 2018, Le Mouffetard

Conception et interprétation : Ilka Schönbein
Musique : Alexandra Lupidi et Suska Kanzler
Lumière : Anja Schimanski

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