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« Dis à quoi tu danses ? » de Séverine Bidaud

L’absolue abstraction, on l'a vu à Lille et à Roubaix, est une des modalités du spectacle pour jeune public. Mais le contraire peut l’être aussi, comme le montre la chorégraphe Séverine Bidaud avec la pièce narrative et représentative basée sur trois contes Dis à quoi tu danses ?

Jeu avec le feu

Le ballet blanc, depuis Petipa, le cartoon, avec Walt Disney, la psychanalyse, version Bruno Bettelheim, le structuralisme d’un Vladimir Propp, le Tanztheater d’une Pina Bausch, la danse contemporaine d’une Dominique Rebaud et plusieurs autres expressions ont volontiers traité de récits enfantins. La compagnie de Séverine Bidaud, 6e Dimension, préfère user du vocabulaire hip hop auquel elle est aguerrie pour interpréter par le langage corporel trois fables fameuses, deux d’Andersen, La Petite fille aux allumettes (qui se prête bien à la période de Noël) et Le Vilain petit canard (qui conclut la représentation) et une autre, devenu universelle, de Perrault, Le Petit chaperon rouge, placée au centre de cette féerie chorégraphique.

De la fillette aux allumettes, Janine Charrat s’était inspirée en 1947 et en avait donné une version néoclassique qui devint, quelque temps plus tard, un ciné-ballet de Jean Benoit-Lévy au titre presque éponyme, La Jeune fille aux allumettes (1951).

Séverine Bidaud joue elle-même l’héroïne du conte qui inaugure la matinée (dès potron-minet, c.à.d. dès 11h AM) et qui enchâsse les deux autres, lesquels prennent la forme de visions d’une enfant famélique transie de froid. Le sol est jonché de flocons de neige faits d’ébarbures de papier ignifugé ; l’obscurité est trouée par intermittence, au rythme des luisances des brandons ; le silence est rompu par des notes de violon et des bruits divers ; le mur du fond s’anime également. Une branche, comme par magie, s’y métamorphose en bec à gaz...

Une métonymie triadique de jambes dénudées figure la foule indifférente ne voulant faire l’emplette de la moindre allumette, danoise ou suédoise, défilant de jardin à cour (et inversement), donnant la réplique au jeu de mains expressionniste de la protagoniste.

Langue des cygnes

Qui dit fantasme dit animal sauvage ou de compagnie. Arrive donc le loup, en attendant le canard boiteux. La pimpante ballerine au tutu amarante s’ensauvage, pour parler comme Bartabas, au contact de la bête, autrement dit, de l’homme. Son art prodigieux de la danse classique est avalé tout cru par celui du hip hop qu’incarne son partenaire qui, quoique travesti, ne cache pas son jeu. Grand-mère est évoquée par l’apparition spectrale d’une photo de famille – surimpression du surmoi au moyen de la vidéo. La fille aux allumettes se mêle de ce qui ne la concerne pas, du pas de deux de flirtaison, telle une grande sœur voulant préserver l’innocence de sa cadette.

Vu le climax auquel accède la danse, il semble a priori difficile de mieux conclure cette série de sketches. Pourtant, à notre heureuse surprise, la troisième routine est envisagée sous un angle différent, totalement burlesque. Après des péripéties et un dialogue de palmipèdes en franc cancan suscitant l’hilarité des jeunes spectateurs, le canard finit par se changer en cygne. Comme il se doit dans un ballet.

Galerie photo © Patrick Berger

La réussite de Dis à quoi tu danses ? tient à la maîtrise de tous ses éléments. Nous avons été convaincu par le mixage de musiques de Clément Roussillat et Jean-Charles Zambo ; par le choix d’extraits du Lac des cygnes de Tchaïkovski et du Carnaval des animaux de Saint-Saëns (le thème qui accompagne la montée des marches du festival de... Cannes) ; la coupe des costumes colorés et inventifs d’Alice Touvet ; l’éclairage d’Esteban Loirat équilibrant scène et arrière-scène, valorisant la danseuse et son double, entretenant le doute sur le rêve et la réalité, les corps enregistrés et ceux bel et bien là, de l’autre côté du miroir ; la vidéo experte, subtile, poétique de Pascal Minet.

Et par la distribution épatante convoquée ce jour-là – Séverine Bidaud herself, jouant deux rôles en se rhabillant à la vitesse d’un Brachetti ou d’un Fregoli ; Cault N’zlo, dégingandé, faussement pataud ; Clément James, félin et inquiétant ; Sandra Geco, exceptionnelle, gracieuse en ballerine, légère en acrobate, ultra-vive en popping.

Nicolas Villodre

Vu le 16 décembre à la Grande Halle de La Villette

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