Deux créations aux Ballets de Monte-Carlo
Programmés dans le cadre de l’Été danse, et de leur trentième anniversaire, les Ballets de Monte-Carlo dirigés par Jean-Christophe Maillot, ont offert à deux jeunes chorégraphes, le belge Jeroen Verbruggen et le russe Vladimir Varnava, l’occasion, de « faire leurs armes » avec les danseurs de la compagnie. Au programme, deux pièces ancrées dans l’histoire des Ballets de Monte-Carlo créés du temps de Diaghilev : L’enfant et les sortilèges, créé le 21 mars 1925 à l’Opéra de Monte-Carlo, soit dans le lieu même où se déroulait cette soirée, et Le Baiser de la fée, créé le 27 novembre 1928 par les mêmes Ballets de Monte-Carlo, mais à l’Opéra de Paris.
Lors de la première, le 21 juillet 2016, soit exactement une semaine après l’attentat de Nice, la Principauté de Monaco, par la voix d’un beau discours de Jean-Christophe Maillot, s’est associé à la douleur des familles en décidant de reverser l’intégralité des recettes de la soirée aux victimes.
L’Enfant et les sortilèges, avait été créé par George Balanchine sur la musique de Maurice Ravel et le livret de Colette. Il exprime la colère d’un enfant capricieux qui maltraite les objets et les animaux qui l’entourent. Ceux-ci s’animent et donnent une leçon à l’enfant. Jeroen Verbruggen, ancien danseur des Ballets de Monte-Carlo, en donne une relecture très adolescente, où l’enfant est plutôt en révolte face aux injonctions maternelles (croquées ici par des jambes démesurées en bas résille et talons). L’idée qui sous tend sa version étant que les créatures et les objets qu’il blesse ne sont autres que lui-même. Bref, une lecture sexualisée, à la Bettelheim, qui fait de ce récit une initiation résolue par le sang de la blessure…
Entretemps, on verra apparaître des hommes et des femmes en langes, ou en franges, et des moutons roses et des catwomen un peu SM. Pas de quoi fouetter un chat ! Bref, la poésie du livret est un peu passée à la moulinette psychanalytique pas très bien digérée. Au niveau de la chorégraphie, le danseur Daniele Delvecchio crève l’écran ! Son corps athlétique, se ploie et se déploie tout en torsions, se lance dans des sauts acrobatiques, des roulades périlleuses, et « tient » littéralement le plateau.
"L'enfant et les sortilèges" de J. Verbruggen © Alice Blangero
Les autres danseurs qui incarnent théières, tasses, canapé ou horloge, et toutes sortes d’animaux sont plutôt moins mis en valeur, malgré une danse très énergique et parfois virtuose. Ce qui est un peu dommage au vu de leurs possibilités. Le ballet pèche par manque de relation entre le groupe et le soliste, comme si, contrairement à ce qu’il avait si bien réussi dans son Casse-Noisette pour le Ballet de Genève, il n’avait pu dépasser l’attention portée au vocabulaire et aux performances physiques des danseurs pour ordonner une vision et créer une vraie dramaturgie. Et que diable vient faire là-dedans Didon et Enée de Purcell (oui, oui, le même passage que dans Café Müller !) venue là comme une fin postiche ?
Après un entracte où l’on a pu admirer le magnifique rideau de scène signé des artistes Ernest Pignon Ernest et J.R. pour les Ballets de Monte-Carlo à l’accosation des 30 ans de la compagnie, changement de décor total pour Vladimir Varnava.
Le Baiser de la fée imaginé par le jeune chorégraphe d’à peine 27 ans est typiquement russe dans sa démesure, ses images futuristes sorties plutôt de Metropolis de Fritz Lang, et des mangas japonais que de la SF actuelle, son extravagance. À regarder la pièce, on se demande quel chorégraphe de la sphère occidentale oserait produire de telles scènes.
"Le Baiser de la Fée" de V. Varnava © Alice Blangero
Tout comme une telle musique composée par Aleksandr Karpov à partir de Stravinsky. Inspiré par La Reine des Neiges, sans doute pour la noirceur des fées plutôt malveillantes, son Baiser de la fée nous plonge dans une atmosphère cauchemardesque dans laquelle se débat (merveilleusement, pour le coup) Alvaro Prieto (l’Homme). L’univers est vraiment surprenant. Il y a des moments forts comme cette procession funèbre, digne d’un film d’Eisenstein, la scène de la maison entre l’Homme la Femme (Anne-Laure Seillan) et la petite fée (Mimoza Koike), et celle des petites poupées portées par deux des danseurs. Les scènes mettant en scène les êtres venus d’ailleurs, genre Mars Attacks, sont hallucinantes.
"Le Baiser de la Fée" de V. Varnava © Alice Blangero
La chorégraphie est une sorte d’hommage à l’histoire de la danse. Elle fait appel à des mouvements puisés directement dans l’expressionnisme, avec ses files de danseurs imbriqués, ses mouvements scandés et soulignés qui peuvent rappeler Kurt Jooss ou Mary Wigman. L’accentuation de chacune des articulations des danseurs par des balles sous les justeaucorps donnent un côté décharné à l’ensemble, sorte de danse macabre où l’ironie le dispute au désespoir. Apparaissent ici et là un hommage appuyé à Stravinsky, mais pas celui du Baiser de la fée, celui du Sacre ainsi qu’aux Ballets russes (qui séjournaient donc dans cet opéra de Monte-Carlo) par l’intermédiaire de quelques citations déguisées de L’Après-midi d’un Faune. L’ensemble a un caractère nostalgique, pessimiste à souhait malgré les perruques roses qui indéniablement, évoque l’âme slave.
Décidément, Jean-Christophe Maillot a eu l’œil pour découvrir ce chorégraphe inconnu à l’occasion de son voyage à Saint-Petersbourg. Et tant mieux si ce ballet n’est absolument pas formaté pour les programmations européennes. C’est ce qui en fait son charme et son étrangeté.
Agnès Izrine
21 juillet, Salle Garnier, Opéra de Monte-Carlo dans le cadre de l’Été Danse.
L'Enfant et les Sortilèges
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen
Musique : Maurice Ravel
Argument : Colette
Costumes : On aura tout vu
Décors : On aura tout vu
Assistante Décors : Emilie Roy
Photographies : Alice Blangero
Lumières : Samuel Therry
Création pour les Ballets de Monte-Carlo
Le Baiser de la Fée
Chorégraphie : Vladimir Varnava
Musique : Aleksandr Karpov dédiée à Igor
Stravinsky
Dramaturgie : Konstantin Fiodorov
Scénographie et Costumes : Galina
Solodovnikova
Lumières : Samuel Thery
Création pour les Ballets de Monte-Carlo
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