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« Détails » de Camille Mutel

Ainsi le mut-elle… 

Il y a des objets, l’analyse de la cérémonie du thé, une certaine solennité. Mais Détails qui se veut une esquisse de pièce à venir est l’occasion pour Camille Mutel de poser ses pas et son regard sur le rituel avec le petit sourire en coin d’un agnostique qui sert la messe.

Sans doute parce que l’on a été prévenu que dans Détails, petite pièce proposée par Camille Mutel en sortie de sa résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto et, à ce titre, présentée au festival ¡ Viva Villa ! à la fondation Lambert, qu’il y avait un rapport avec les objets, un doute taraude : là, cet espace matérialisé dans un coin d’un musée, des objets disparates (une planche, une balance-trébuchet, un étau), l’interprète à genoux et immobile ! Bon sang, mais c’est Jérôme Bel ! Camille Mutel va nous refaire en solo le duo Nom Donné par l’auteur(1994), mais avec vingt-cinq ans de retard !

Or, il faut souvent rappeler aux fervents de  l’avant-garde chorégraphique « Belienne » que celle-ci tape déjà son bon quart de siècle au compteur… Ce qui nous met l’innovation au rang des radotages et peut expliquer le léger haut le cœur à se voir infliger une resucée. Mais, foin de mauvaise foi, le doute dure peu. 

La danseuse chorégraphe se saisit de l’étau, avec une présence et une tenue toute de hiératisme et entre sur l’espace. Elle y pose son objet puis ressort. Elle fait la même chose avec la planche et l’attention qu’elle porte à cet objet à la banalité extrême impose révérence.

Il se joue là, dans une lenteur très maîtrisée, avec une précision soulignée, quelque chose d’une cérémonie dont la modestie et la réserve n’altère en rien la solennité. Elle entreprend de serrer la planche avec les mors de l’étau. Chaque demi-tour de manivelle se conclue du raclement de celle-ci ramenée en arrière pour entreprendre un nouveau demi-tour. La gravité de ce son habituellement négligé s’impose à la vaste pièce et à toute l’assistance. Fente soudaine, un long couteau jaillit, enfoui qu’il était dans la ceinture de la combinaison bleu Klein lequel, faut-il le rappeler, avant d’être l’artiste que l’on sait fut aussi un éminent judoka. Et c’est ainsi que soudain tout bascule et que l’on passe du Parti pris des chosesà un Barbare en orient… 

Cette cérémonie est née de l’étude de la cérémonie du thé, mais, en quelque sorte, vue du point de vue des objets. La danse s’y instille. Une cambrure très lente, puis un grand plié et la roulade ralenti, le couteau dans la bouche, tranchant tourné vers la commissure. La cérémonie dérisoire saisit maintenant le souffle. Elle glisse la pointe de l’arme -s’en est devenue une par le risque encouru- dans sa bouche et la pose en équilibre sur l’extrémité plane du manche. Comme un pal… 

On respire un peu à cette singulière maîtrise. Impavide, Camille Mutel a poursuivi le mouvement. Une nouvelle fente avant de se redresser, d’équilibrer la planche horizontalement entre les mors de l’étau, d’aller chercher la balance trébuchet, puis un oignon qu’elle épluche. Elle le pose sur la planche ; brandit à nouveau le couteau. Un coup net, mais les deux parties -et le verdict de la balance l’assure- ne se valent pas. Cette cérémonie toute de gravité se résout dans le dérisoire.

Ce rite possède le sourire discret et légèrement énigmatique, s’évanouissant dans l’espace comme celui du chat du Cheshire, que Camille Mutel promène sur sa danse. Rituel et cérémonie, mais dont elle n’oublie jamais qu’ils s’évanouissent et ne reste que par la mémoire des gestes. 

Détails n’était pas destiné à tourner quoique donné plusieurs fois cet été, mais cette pièce d’une toute petite demi-heure constitue la matière du solo que la chorégraphe prépare pour la rentrée. Pour autant, cette esquisse sérieuse autant que très délicatement goguenarde mérite d’être vue pour elle-même et vaut, mieux qu’une expérimentation, un numéro d’opus. 

Philippe  Verrièle

Festival ¡ Viva Villa ! Fondation Lambert, Avignon, 13 octobre 2019.

Chorégraphe et interprétation : Camille Mutel

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