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« De(s)génération d'Amala Dianor »

Une fois n'est pas coutume. On rendra compte de De(s)génération, nouvelle pièce d'Amala Dianor, en égrenant d'abord la liste complète de ses interprètes. Soit : Gabin Nuissier, Brahim Bouchelaghem (éventuellement remplacé par Mustafa Saïd Lelouh), Mathias Bassin, Admir Mirena, Sandrine Lescourant, Link Berthomieux. Les bons connaisseurs du hip-hop reconnaîtront là une traversée de générations (relire le titre de la pièce), commençant côté quinquagénaire (mais chut!) pour terminer autour des vingt ans pile. Autre panel : celui des styles (l'un se revendique même de la danse expérimentale aux confins du contemporain), mais aussi des univers, allant du battle à la reconnaissance institutionnelle. On aurait pu espérer une présence féminine plus étoffée. Mais de fait, cela aurait trahi la réalité du paysage ainsi évoqué sur scène.

Cette diversité d'âge et de profils est au coeur du propos d'Amala Dianor, qui réussit une pièce très fraîche, alors même qu'il entend embrasser toute la portée d'un mouvement chorégraphique qui pèse désormais ses trois décennies d'histoire. Au moment d'observer ses propres partis scéniques, il n'est pas vain de considérer qu'Amala Dianor présente un parcours hybridé, déjà par sa formation au CNDC d'Angers, et encore à ce jour comme interprète en contemporain, par exemple auprès du chorégraphe Emanuel Gat.
 

Photos © 2016 - Le Poulpe

De(s)génération est une pièce totalement décoincée, qui mise largement sur la présence entière de personnes sur scène, et ce que peut donner leur rencontre effective. Cette confiance dans les personnalités ne verse pas du tout du côté de la surenchère des prouesses virtuoses de l'un au défi de l'autre, mais de celui du dépliement des traits de caractère, des silhouettes de corps, de la performance auti-fictionnelle de toute présence incarnée.

De(s)génération tient de la place publique, où l'on prend temps de se rencontrer, pour dialoguer, par langage de corps. Loin de se ramasser en unissons obligés, l'essentiel de la composition de groupe joue d'une grande variété de circulations, de croisements, d'appariements, de combinaisons, volontiers fugaces, toujours enlevés, dont l'originalité chasse tout péril d'ennui.

Entendons-nous : la gestuelle de De(s)génération s'assume comme tout à fait hip-hop, mais digérée, assimilée, à un stade où cela ne fait plus question (de style, d'évaluation, de catégorisation). Il en découle un résultat des plus heureux : c'est que la figure du défi n'y est nullement ignorée, bien au contraire elle revient incessamment. Mais ne fût-ce que par la trahison du poids physique des ans, elle se dérègle et se teinte d'une ironie pleine aussi de respect, dans laquelle semble primer le regard curieux et attentif, fondamentalement bienveillant que chacun.e des interprètes porte sur ses partenaires et vrai-faux compétiteurs, tour à tour.

On pourrait se réjouir d'une telle humeur, déjà pour le bien quelle diffuse dans une période si cruellement tendue. Mais on lui trouvera aussi un sens profondément chorégraphique, quand elle rappelle que toute pièce, par-delà la narration ou le propos qu'elle est censée développer, est toujours déjà, et avant tout, l'histoire d'un collectif d'humains effectivement engagé dans l'instant de leur mise en présence. On oublie trop souvent de regarder cela. De(s)génération a fait le choix de le montrer.

Gérard Mayen

11 et 12 octobre à POLE-SUD CDC, Strasbourg

Spectacle vu lors de sa générale de création le vendredi 8 janvier au Théâtre Louis-Aragon de Tremblay-en-France (93).

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