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Denis Plassard présente « Albertine, Hector et Charles » - interview

Nouvelle collaboration entre Denis Plassard et Emilie Valantin, pour un spectacle chorégraphique et marionnettique à la Biennale de Danse du Val-de-Marne, le 11 mars.

Danser Canal Historique : Vous créez une pièce pour trois danseurs, trois marionnettes de taille humaine et trois artistes vocaux. Pourquoi cette association danse-marionnettes ? Que représente-t-elle pour vous ?

Denis Plassard : La marionnette et la question de la manipulation m’intéressent depuis longtemps. La première fois, la question s’est posée à moi quand j’étais étudiant en danse. Le danseur n’est-il pas au fond sa propre marionnette? Au conservatoire, j’avais l‘impression qu’on me parlait comme si mon corps de danseur n’était pas le même que celui de tous les jours, comme si ce corps était un objet avec lequel je devais atteindre une sorte de perfection quasi inhumaine. C’est vrai au ballet, et en danse contemporaine les choses sont encore plus complexes, parce qu’on doit y aller avec son corps authentique et pourtant atteindre une sorte d’absolu.

DCH : Vous avez un parcours personnel avec la marionnette, à travers plusieurs spectacles et vous avez déjà travaillé avec Emilie Valantin.

Plassard: Dans mon solo Derrière la tête, je porte un masque à l’arrière de ma tête et je crée comme une marionnette, avec mon propre corps. En 2014, j’ai créé avec Emilie Valantin, qui est pour moi l’une des grandes références en matière de théâtre d’objets et de marionnettes, une chorégraphie pour l’un des groupes du Défilé de la Biennale de Lyon. J’ai beaucoup aimé les échanges avec les amateurs, mais artistiquement nous ne pouvions pas atteindre le degré de finesse que nous aurions souhaité. C’est pourquoi nous nous sommes retrouvés pour Albertine, Hector et Charles.

DCH : Comment avez-vous abordé le rapport danseurs-marionnettes?

Plassard : Je voulais que les danseurs soient au service des marionnettes et qu’il y ait un transfert de leur sensation du mouvement sur les corps manipulés qui sont quasiment de taille humaine. Le travail sur la décomposition d’un seul mouvement, quand il est partagé entre trois manipulateurs, devient ici un vrai travail chorégraphique. Emilie Valantin nous a rejoint en studio de danse pour certaines répétitions, et elle a surtout travaillé à créer des marionnettes à la fois souples et articulées pour qu’elles puissent bouger de manière détaillée. En même temps elles doivent être assez stables pour qu’un seul danseur puisse les tenir, même si en général le spectacle est basé sur une manipulation à trois. Je suis fasciné par le fait que nous prêtons vie, par notre regard et le mouvement, à un corps inerte.

DCH : Quand on se place, par rapport au mouvement de la marionnette, dans l’idée d’une quête d’absolu et dans la comparaison avec le mouvement du danseur, on ne peut faire l’impasse de Kleist es son essai métaphorique Sur le théâtre de marionnettes.

Plassard : Exactement. Le mouvement du danseur n’atteindra jamais l’absolu du mouvement de la marionnette. Ce rapport à l’absolu nous rattrape aujourd’hui avec les personnages virtuels, où le mouvement est perfectionné à partir des procédés de motion capture pour créer les avatars et les personnages de films d’animation. Par comparaison, la marionnette est presque charnelle dans son côté artisanal. Pour Albertine, Hector et Charles, nous sommes partis d’un questionnement sur le trouble qui se créé quand on se place à la frontière entre l’humain et l’inerte ou l’abstrait.

DCH : Chez Kleist, la quête d’absolu est spirituelle et passe par la légèreté et la grâce. Chez vous tout est orienté vers le sol ou même vers un abyme. Il est question de Dante, d’enfers et de châtiments.

Plassard: Tout à fait. Quand je vois nos marionnettes au sol, je ne peux pas m’empêcher d’y voir des cadavres et d’être troublé quand ils prennent vie. Toute l’idée de faire un spectacle sur Dante et l’enfer m’est venue par la marionnette.

DCH : Votre technique de manipulation ainsi que la taille des marionnettes ne peuvent que nous évoquer le bunraku japonais.

Plassard : En effet, le principe est le même: Chaque manipulateur tient une partie du corps de la marionnette. Sauf que nous devons inventer des stratégies supplémentaires pour pouvoir jouer avec plusieurs mannequins, alors que nous ne sommes que trois danseurs. Notre chorégraphie se nourrit de cette complexité et intègre pleinement le second plan, où l’on voit les manipulateurs bouger. A la création de la pièce j’ai par ailleurs fait l’erreur de vouloir trop cacher les manipulateurs. Ca marchait tellement bien que le spectacle ne fonctionnait plus. Entretemps il a beaucoup évolué.

DCH : Un spectacle de marionnettes repose sur le transfert de l’énergie et de l’émotion du manipulateur sur son objet. En ce sens, on peut aussi considérer les trois vocalistes du spectacle comme des manipulateurs.

Plassard : Nous travaillons avec une chanteuse et deux beat-boxers. Comme dans la manipulation, tout se fait de façon artisanale et en direct, dans une grande proximité. Les voix, les bruitages, le souffle, la musique. Les voix incarnent en quelque sorte la vie intérieure des marionnettes.

DCH : Les vocalistes commentent, un peu comme le chœur dans la tragédie?

Plassard : Oui, et je voulais aller au bout du symbole des neuf cercles de l’enfer chez Dante. D’où les trois catégories à trois individus, et le spectacle se décline en trois solos, trois duos et trois trios. Il y a un système aussi implacable que chez Dante, où chaque péché rencontre un châtiment précis. Il a pris un malin plaisir à imaginer des châtiments sur mesure, comme dans un jeu. Pour Albertine, Hector et Charles, j’ai aussi imaginé des châtiments. Mais nous avons arrêté de les expliquer verbalement. C’était réducteur. Nous sommes dans un enfer drôlement décalé.

Propos recueillis par Thomas Hahn

La Briqueterie

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