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Decouflé à Chaillot veut voir tout disparaître !

Drôle d’endroit pour un anniversaire… Comme le diable (ou la majorette) jaillissant du gâteau, Decouflé jaillit de Chaillot, avec compagnons et décors : tout une époque pour un charivari réjouissant quoi qu’un rien nostalgique.

La compagnie de Philippe Decouflé fête ses trente-cinq ans et s’invite à Chaillot. Quelques quarante danseurs historiques de la compagnie, une bonne dizaine de musiciens, vingt-quatre petits jeunes du Conservatoire Sup, des machines à illusions d’optique, plusieurs cafés : manquent les ratons-laveurs, mais peut-être les a-t-on simplement ratés.

On s’attend à une célébration, quelque chose d’un rien compassé mais, dès l’entrée, en haut de l’immense escalier du Théâtre de Chaillot, la fébrilité et l’agitation trahissent le projet : il s’agit bien de mettre le maximum de désordre partout ! Les guichets permettent de retirer les billets pour l’un deux spectacles -programme noir, programme blanc- ou les six propositions d’une petite demi-heure de la salle Gémier et encore les programmes généraux avec lesquels composer son propre programme dans le fourmillement des propositions diverses réparties sur tout le bâtiment.

Chacun s’agite, choisit un ciceron étrangement attifé -faux dresseur maquillé, homme-femme à barbe ou garçonne 1900- et s’engage dans le clair dédale du Palais. Il faut ouvrir les yeux. Marlène-Pascale-Dietrich-Oudin rencontre Jean-Dominique-Gabin-Boivin dans l’escalier-roulant (classé monument historique), Meritxell Checa Esteban en robe à vertugadin répond à un saxophoniste, deux fois trois boxeurs fatigués et en peignoirs noir et blancs se bourrent de ramponneaux à s’en casser les os… Il faut regarder partout, on en a cependant raté les ratons-laveur.

Galerie photo © Laurent Philippe

Il s’agit bien, cependant, d’un hommage. Les petites saynètes constituent la crème du style Decouflé, tout en ironie et gestuelle expressive, et les petits shows qui s’enchaînent salle Gémier évoquent quelques grandes étapes du parcours : morceaux de Triton (1990), bouts de Decodex (1995) et même l’immortel Petit Bal (1994), si souvent vu en film et donné ici « en live intégral », sans les accessoires, mais tellement juste. On mesure à cette occasion combien ce bref moment de spleen, né d’une peine de cœur, possède de magie pour que tout y soit sensible dans cette version épurée à l’extrême. Le meilleur en formes brèves.

Cela se vérifie avec les deux spectacles d’une heure qui se succèdent dans la grande salle. Le premier, dit « noir », s’achève sur des extraits de Wiebo (2016), l’hommage à David Bowie conçu pour la Philarmonie… Et toute la troupe se déhanchant sur Let’s dance reste un moment majeur. Pas vraiment de trame, mais du panache. Ce fut moins rythmé pour le second, dit « blanc », reprenant les grands moments de Shazam (1997). La pièce originale pêchait par manque de cohérence, en version digest, c’est encore plus criant : il en reste une magie visuelle mais elle peine à tenir en haleine une heure…

Galerie photo © Laurent Philippe

Sinon, toujours, ces petits moments de magie tout pétris de nostalgie à les revoir longtemps après, mais par les créateurs. Tranche de Cake (1984), pièce fondatrice, réduite aux souvenirs étriqués de ses danseurs d’origines, mais fermement et jubilatoirement défendus par les mêmes, constitue un petit moment de bonheur.

Galerie photo © Laurent Philippe

Il faut sans doute se satisfaire de cette esthétique du fragment délirant et de la vignette parfaitement dessinée. Le choix de Joost Swarte, illustrateur de génie mais qui n’a jamais raconté la moindre histoire en BD résume assez bien les limites et les plaisirs de l’exercice : cela ressemble à du Tintin, c’est clair, net et bien dessiné, mais n’y chercher aucune trame cohérente. Or, parfois, cela manque un peu… Reste une bouffé de nostalgie.

«La compagnie D.C.A. n’a jamais constitué un répertoire », répète Philippe Decouflé… Tout doit disparaître prouve le contraire et s’entend comme une antiphrase. La soirée témoigne non seulement que tout ne disparaît ni ne disparaitra puisque les interprètes continuent à porter ses pièces, mais en plus que cela mérite de demeurer. Comme témoignage, peut-être, celui d’une époque de la danse que ces créations incarnent formidablement, mais encore parce que cela possède une fraîcheur hors du temps avec laquelle toutes les générations de spectateurs, même les plus jeunes, se sentent manifestement tout à fait en phase.

Soudain un petit doute affleure au milieu de l’agitation et tandis qu’une fanfare de majorettes dont « certains » barbus passe dans le grand foyer et qu’une flopée d’insectes géants aux yeux lumineux s’agite dans un coin : est-ce Decouflé qui sert Chaillot ou le contraire ? L’écrin daté du vieux palais fait décors d’une époque qui rêvait du passé. Et cela fonctionne. Et à qui s’adresse ce titre : Tout doit disparaître… Manifestement pas aux œuvres qui pourront être reprises ; pas au lieu, on le souhaite si on lui prête le soin nécessaire…

Galerie photo © Laurent Philippe

Ce « tout » se résume peut-être dans un bouquet posé en avant-scène pour un film. Les acteurs sont presque tous encore là, sauf un, rappelé par les fleurs : Christophe Salengro.

« Tous doivent disparaître », certes, mais combien ces danseurs, aujourd’hui quinqua, sexa et plus ou moins « génaires », sont présents et puissants dans leur fragilité.

Cette danse, avec ses limites dramaturgiques, possède un charme fort et la faculté précieuse de mettre en joie grâce à ces danseurs qui ont la générosité de la défendre. Plus que les producteurs de cinéma, puisque certains par mercantilisme, privèrent cette fête de quelques pépites (par exemple l’impayable Caramba -1986-). Ils ont manqué l’occasion de participer à un moment précieux, celui où la danse la plus emblématique des années 1980 a renoué le fil entre son passé et notre présent.

Philippe Verrièle

Vu le 27 septembre 2019

Il n’y a pas de tournée prévue. Ni prévisible en l’état !!!

 

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