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Danse contemporaine de Cuba à la Maison de la Danse

La compagnie au nom oxymorique Danza contemporánea de Cuba a reçu un accueil triomphal à la Maison de la Danse de la capitale des Gaules. Pourtant, ce programme de Thanksgiving (ou Acción de gracias) faisait deux heures quinze chrono, avec, il est vrai, deux intermissions permettant aux vingt-trois danseurs caribéens omniprésents de souffler et au public de tous âges venus les découvrir de se rafraîchir, voire de se sustenter.

Il faut dire que l’ordre de passage était idéal – celui annoncé par la feuille de salle, modifié, a été bonifié. Le gala, composé de trois pièces, a débuté par une version du Sacre du printemps (Consagración) chorégraphiée en 2018 par les Français Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours de la Cie Sine Qua Non Art ; il s’est poursuivi par Coil (2016), de Julio César Iglesias Ungo ; et s’est conclu en beauté avec Matria Etnocentra (2011), de George Céspedes. La compagnie Danza contemporánea de Cuba fut créée en 1959, l’an un de la Révolution castriste, par Ramiro Guerra. Elle est de nos jours dirigée par Miguel Iglesias Ferrer, qui y fut danseur dès 1975, puis premier danseur et, par la suite, enseignant, avant d’en prendre la tête en 1985. Miguel Iglesias nous a confié avoir suivi le conseil reçu dans sa jeunesse d’un de ses profs de théâtre : « Ressens, ne joue pas. Tout cela est mensonge, mais tu dois le vivre comme une vérité ». Il a retenu la leçon et cherché non à dansermais à interpréter, en se basant sur la méthode des actions physiques de Constantin Stanislavski. Les deux premiers titres du programme relèvent d’ailleurs plus, selon nous, du Tanztheater que du contemporain proprement dit, en tout cas de celui que peut représenter la « nouvelle danse » européenne.

La chorégraphie de Christophe Béranger et Jonathan Pranlas-Descours n’est pas une énième version du Sacre du printemps qui fut inspiré à Igor Stravinsky et à Nicolas Roerich par une légende russe mais un ballet typiquementcubain. Aadapté du roman éponyme d’Alejo Carpentier, La Consagración de la primavera (1978), il suit les désirs de sa protagoniste, une ballerine russe prénommée Vera, fascinée par la richesse des rythmes afro-cubains. Des rythmes chers au musicien qu’était aussi Carpentier et que celui-ci voulut faire découvrir à Stravinsky en 1946 en le conviant à une cérémonie abakuá associant magie, musique et danse. Béranger et Pranlas-Descours ont gardé de cette confrérie secrète masculine, un peu macho sur les bords, le long masque en tissu recouvrant le visage des adeptes en période de carnaval, un masque qui leur pend comme un long bavoir, qui garde le secret du culte, assure l’anonymat des participants et, dans le cas du ballet qui nous occupe, autorise, paradoxalement, la parité hommes-femmes.

Les costumes de La Consagración, dessinés par les chorégraphes en collaboration avec Vladimir Cuenca, sont légers ; ils voilent quasiment jusqu’à la fin les visages des uns et des autres mais dévoilent plus d’une demi-heure durant les corps extrêmement souples des athlètes-danseurs. Les éclairages subtils – beiges, ocres, chaleureux – d’Oliver Bauer valorisent les différentes tonalités d’épidermes métissés. La chorégraphie est contrastée, comme l’est la composition musicale restituée dans la version de 1958 de l’Orchestre philharmonique de New York dirigé par Leonard Bernstein. Aucun effet pittoresque n’est ici visé, tout au contraire ; la gestuelle n’illustre jamais les intentions du sous-texte ; les qualités techniques (vivacité, puissance, gels gestuels) et artistiques (fluidité des déhanchements et des roulements d’épaule) de toute la troupe sont au mieux exploitées. 

Consagración et Coil  © Adolfo Izquierdo

Dans Coil, titre en anglais qui signifie bobine, rouleau ou spire, Julio César Iglesias Ungo a voulu aborder et, si l’on peut dire, traiter à sa façon la question de la traite des Noirs, donc de l’esclavage. Le chorégraphe a sans doute hérité de la manière expressionniste, représentative, théâtrale de son père, Miguel Iglesias. Toujours est-il qu’il nous souffle le chaud et le froid. Des gifles et du jeu enfantin de saute-mouton il passe à des relations sadiques, à des rapports de type SM, à la punition, à la torture, à une violence à peine feinte. Dès lors, les portés n’ont plus rien de romantique. Les exercices de style se succèdent, qui forment une suite de danses de la cruauté. Un cercle par conséquent assez vicieux. 

Matria Etnocentra- Galerie photo © Adolfo Izquierdo

La pièce Matria Etnocentra est un ballet endiablé, au sens joyeux du terme. Les spectateurs les moins sensibles aux effets d’unisson des défilés de girls et de boys du West End, de Broadway ou du Gai Paris, à l’instar d’un Sigfried Kracauer qui, jadis, critiqua les Tiller Girls pour leur taylorisme chorégraphique, ne peuvent qu’être épatés par la virtuosité dont fait preuve la compagnie cubaine dans cette pièce qui fait mouche, nous dit-on, à chaque fois qu’elle est donnée. Le plaisir esthétique, comme le rire, selon la définition bergsonienne, peut donc résulter de la mécanique. La critique de l’armée en général et de celle dite révolutionnaire en particulier passe par le détournement des manœuvres militaires en tableaux visuels à la Busby Berkeley. Le chorégraphe George Céspedes se montre digne d’Igor Moïsseïev. Un Moïsseïev qui aurait été amateur de techno.

Nicolas Villodre

Vu le 24 novembre 2022 à la Maison de la Danse de Lyon.

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