Danse au sommet à Ouagadougou
Multiple et foisonnante, la dixième Triennale Danse l’Afrique Danse, qui s’est tenue du 26 au 30 novembre à Ouagadougou (Burkina Faso) a été le rendez-vous chorégraphique de tout un continent.
L’ouverture, le samedi 26 novembre, de la dixième édition de Danse l’Afrique Danse ! a donné le ton : dès cette première soirée, les festivaliers ont pu voir de 20h à 2 heures du matin ( !) pas moins de quatre spectacles, dont la diversité reflète un incroyable bouillonnement créatif.
Quoi de commun, en effet, entre le consensuel Kombibissé de la Burkinabé Irène Tassembédo, qui inaugurait la soirée en mixant avec une énergie contagieuse danse, musique et révoltes juvéniles, et le flamboyant manifeste féministe Lady Lady de la Malgache Gaby Saranouffi, qui la clôturait ?
Quel rapport entre la sincérité frontale du remarquable danseur congolais Dorine Mokha, mettant à nu ses blessures intimes dans Entre-deux II : Lettre à Gus et la critique sociale esquissée par son compatriote Jeannot Kumbonyeki dans Le Kombi, autour d’un bus collectif devenu l’emblème de la réalité kinoise ? Rien, sinon, selon les mots mêmes d’Irène Tassembédo, la « rage de la danse ». Une rage qui parle de la jeunesse, des femmes, de l’engagement et des changements sociaux qui tardent à venir, mais aussi des vies ordinaires avec leur lot de souffrance ou d’interrogations. Et partout, l’omniprésence du corps, vecteur de toutes les révoltes.
Parmi les temps forts à retenir de ces cinq jours très ‘denses’, il y avait le thème choisi cette Triennale 2016 : Mémoire et transmission. Ce fil rouge était naturellement illustré par les présences conjointes de toutes les générations de la danse africaine, de Maman Germaine (Germaine Accogny) aux jeunes pousses burkinabés. Il était aussi porté par des tables rondes très suivies, dont une consacrée aux Parcours de vie, et par une soirée dédiée aux Pièces de répertoires. Dans le Grand Studio du CDC de La Termitière, étaient ainsi présentés Ti Chèlbè de Kettly Noël (Haïti, Mali), Sans repères de Béatrice Kombé (Cie Tché Tché, Côte d’Ivoire), Figninto de Salia Sanou et Seydou Boro (Burkina Faso), Um solo para cinco d’Augusto Cuvilas (Mozambique) et Gula ‘Bird’ de Vincent Mantsoé (Afrique du Sud).
Galerie photo © Antoine Tempé
Choisies parmi les lauréates des concours organisés durant deux décennies par les Rencontres chorégraphiques de l’Afrique et de l’Océan indien, ancêtre de Danse l’Afrique Danse !, ces pièces emblématiques étaient toutes recréées par de jeunes interprètes. Certaines œuvres, comme Ti Chèlbè ou Figninto se prêtaient particulièrement au jeu de la relecture, leur force artistique s’exacerbant au contact de nouveaux danseurs. Emouvant passage de témoin, qui témoignait de la constitution d’un véritable patrimoine chorégraphique africain contemporain.
Il faut souligner aussi la place déterminante prise, dans cette édition 2016, par les femmes. Nombreuses à être programmées, elles ont fait montre d’une belle audace, tant dans les thèmes abordés que dans leur traitement formel. Leur présence en force est le résultat d’une démarche active assumée par Sophie Renaud, organisatrice de la Triennale pour le compte de l’Institut Français : « Elles étaient très absentes des précédentes éditions », reconnaît-elle, « et du coup, on y a travaillé. En étant plus attentif à leurs projets, en les soutenant par des résidences de création. Leur visibilité sur les plateaux contribue à éduquer les filles, en leur montrant quelle place elles peuvent occuper dans la société. »
Résultat, des pièces fortes - souvent des one women show - portées par des personnalités affirmées. La Malgache Judith Olivia Manantenasoa (Madagascar) a ainsi présenté un époustouflant solo, Métamorphose, où elle n’hésite pas à dévoiler, en signe de résistance, une nudité scarifiée ; la Gabonaise Kaisha Essiane a revendiqué sa différence en exposant un corps XXL, du titre de son solo ; et la Tunisienne Oumaïma Manai, dans Nitt 100 Limites, brise de façon spectaculaire et bouleversante les chaînes de toutes les oppressions.
Il faudrait dire encore le plaisir d’avoir découvert Kalakuta Republik, la nouvelle pièce de Serge Aimé Coulibaly inspirée par le musicien Fela, et celle de Seydou Boro Le Cri de la chair.
On a aussi savouré Toi et moi de Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek, avec Stéphanie Pignon et Amala Dianor, ou applaudi Elsa Wolliaston dans un extrait de Trois Phases d’un Voyageur.
Reste à saluer les forces conjuguées des trois opérateurs locaux, Salia Sanou et Seydou Boro directeurs artistiques et Irène Tassembédo coordinatrice, alliés à l’Institut Français et à la Fondation Total, sponsor officiel de la Triennale, pour ce fécond rassemblement de toutes les forces vives chorégraphiques du continent.
Isabelle Calabre
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