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« D’à côté » de Christian Rizzo à Chaillot : interview

Du 2 au 8 février, la première pièce tous publics de Christian Rizzo fait escale à Chaillot.

Danser Canal Historique : D’à côté est votre première pièce qui inclut explicitement le jeune public. Quelles sont les questions que vous vous êtes posé ? Quelles sont les différences avec une pièce qui s’adresse uniquement aux adultes ?

Christian Rizzo : L’idée d’avoir des enfants dans la salle m’a donné un désir d’exigence. Je me suis interdit de laisser passer des choses moyennement précises, qui peuvent être absorbées par la totalité d’un spectacle. C’est rare, mais ça peut m’arriver. Ici je me suis imposé une exigence de la composition de très grande précision. Je me disais que la seule manière de communiquer avec les enfants consistait à être d’abord hyper-exigeant avec mon propre travail. Nous avons fait beaucoup de filages et j’ai insisté sur chaque détail, alors que je travaille habituellement dans une observation plus large.

DCH : Vous investissez donc beaucoup de travail pour gagner le public de la danse de demain !

Chr. Rizzo : Avant même de penser au public de demain, il s’agit des citoyens de demain. Je sens la responsabilité d’offrir aux yeux et donc à l’imaginaire des enfants un autre espace que les films sur I-pad que les parents leur donnent pour avoir la paix. Les enfants d’aujourd’hui sont tellement abreuvés d’images ! S’ils deviennent un public pour la danse, c’est formidable. Mais s’ils deviennent des citoyens imaginatifs c’est encore mieux.

DCH : D’à côté joue sur l’épure, mais aussi sur l’état de corps. Il y a des corps mous, alors que le monde se présente surtout sous le signe de la dureté.

Chr. Rizzo : Je cherche toujours à travailler sur l’espace entre les corps et l’espace qui les accueille. Ici, je crée cette antinomie et presque des effets de balancier entre le mou et le dur pour que la pièce puisse se nourrir de cet espace-entre. Lors de l’une des premières représentations, j’ai été intrigué par la question d’une fille de sept ou huit ans, pointant « le rapport entre le dur et le mou » dans la pièce. J’ai choisi des danseurs aux corps très entraînés, justement pour me permettre de faire jaillir un état de mollesse, quelque chose de presque ouaté, au lieu d’être en permanence dans une surenchère de mouvements de cassure. Le mou apporte aussi des éléments de narration, dans un univers plutôt abstrait. Tout l’environnement est ultra-géométrique. Donc pour moi, les corps ne pouvaient pas être géométriques à la même échelle. 

DCH : Les enfants ne demandent sans doute avant tout qu’on leur raconte une histoire. Mais D’à côté ne tisse pas un fil narratif qui s’étend du début à la fin. 

Chr. Rizzo : Il y a déjà assez de pièces narratives. Si je travaille un fil narratif, et je le fais ici un peu plus que d’habitude, ce fil est toujours à trous. J’ai une confiance absolue dans la capacité du public à créer des liaisons et à inventer l’histoire. C’est ça qui m’intéresse. J’ai reçu beaucoup de dessins de la part des jeunes spectateurs, qui font preuve d’une grande imagination. Je joue beaucoup avec les enfants et j’observe toujours comment, avec deux ou trois objets, ils créent des mondes, dans un espace totalement vide. C’est exactement ma propre façon de travailler.

DCH : Les enfants sont-ils finalement un meilleur public que les adultes ?

Chr. Rizzo : Je me souviens d’une pièce de Vincent Dupont programmée à Montpellier, au CCN. On n’y voyait que la chorégraphie des décors. Après la représentation, une petite fille était émerveillée. Elle remercia son père de l’avoir amenée et lui, répondit : Mais c’est nul, il n’y a pas de danse ! Nous avons donné nos premières représentations devant un public scolaire. Mais ensuite, beaucoup d’enfants sont revenus parce qu’ils voulaient partager la pièce avec leurs parents. Je voulais justement créer une pièce qui déclenche un dialogue entre les enfants et leurs parents. Les enfants ont aussi un beau regard sur la peinture abstraite parce qu’ils observent la matière. Il n’y a pas beaucoup de gens aujourd’hui capables d’observer la peinture abstraite. 

DCH : Comment s’est déroulé le processus de création ?

Chr. Rizzo : Je n’avais pas d’idée préconçue. Je savais seulement que je voulais partir sur un trio, parce que je n’avais encore jamais créé un trio. Je trouve le trio très compliqué. Et je voulais m’adresser à un autre public que celui qui voit habituellement mon travail. Ces envies se sont d’abord logées sur un espace plastique avec ses LED etc. Ensuite je me suis concentré sur les rapports de danse. J’ai volontairement travaillé avec des danseurs que je ne connaissais pas encore. Pour les amener à se rencontrer, j’ai beaucoup travaillé sur des questions de contact et de balances de pouvoir, ce qui m’a rouvert un champ lexical que j’avais un peu abandonné depuis quelque temps. Nous avons travaillé sur leurs relations qui passent par exemple par le fait d’entrer avec une plante et de la poser, ce qui fait apparaître une forme de fiction. Mais au lieu de la penser d’emblée, je suis là pour la suivre. Finalement, je tire les fils de ce que j’observe. Ce qui se déroule entre eux est aussi repris par les lumières et le son.

Galerie photo © Marc Coudrais

DCH : D’à côté est dansé par un trio masculin de façon très homogène. On pourrait même l’interpréter comme un seul personnage.

Chr. Rizzo : Nicolas Fayol vient du hip hop, Baptiste Ménard sort du CNSM de Lyon et Bruno Lafourcade a été formé au CNDC et s’est ensuite plus orienté vers les danses de rue et la capoeira. J’ai confronté mon écriture à leurs univers respectifs pour faire ressortir ce qui pouvait les lier, à travers leurs différences. Ils ont trouvé, à l’intérieur de la pièce, leur manière partagée d’être ensemble au lieu de danser côte à côte et se lancent parfois dans des constructions d’un corps commun. Si chacun est vêtu de l’une des trois couleurs qui, réunis, produisent le blanc, ce n’est pas tout à fait anodin !

DCH : Vous avez été invité à être l’artiste associé de l’édition 2017 du festival December Dance à Bruges. Que représente le passage de la création à la programmation ?

Chr. Rizzo : J’adore faire de la programmation. C’est comme faire de la cuisine. Et on se dévoile beaucoup en invitant les autres. C’est une forme d’autoportrait éclaté. Les pièces que j’ai invitées parlent de moi dans mon travail et dans mon intimité. Je voulais terminer December Dance par une création jeune public et je voulais surtout montrer des artistes qui travaillent sur des questions de rituel, de métamorphose, comme Vania Vaneau, Sorour Darabi ou Latifa Laâbissi ou la pièce d’Alessandro Sciarroni pour le Lyon Opera Ballet, où les corps se transforment par le motif chorégraphique de la rotation.

DCH : Le rituel, la métamorphose : Il y en a dans D’à côté !

Chr. Rizzo : C’est ce qu’on voit dans presque toutes mes pièces. Ce sont les lignes fondatrices de ma recherche. Des espaces qui questionnent des espèces d’apparition et de disparition. J’ai deux textes fondateurs chez moi. Ce sont La Tempête de Shakespeare et Les Métamorphoses d’Ovide. Dans La Tempête, l’île est un espace propice au changement. On touche aux questions de la compréhension de soi, de la nature, des éléments et peut-être de la technologie. Est-ce qu’on peut dialoguer avec l’autre ? Et puisqu’on n’y arrive pas entre humains, serait-ce possible avec l’inanimé ?

DCH : Vos prochains projets ?

Chr. Rizzo : Je prépare aussi un très grand festival à Taiwan, le festival international des arts de Taichung, organisé par l’Opéra de Taichung, entre mars et mai 2018, pendant deux mois, avec des spectacles programmés tous les weekends. J’y présente des spectacles qui connectent la danse à d’autres domaines, des arts plastiques à la technologie. Je travaille beaucoup avec Taiwan depuis douze ans. C’est la première fois qu’ils invitent un artiste étranger pour programmer le festival.

Propos recueillis par Thomas Hahn

Du 2 au 8 février

Chaillot – Théâtre National de la Danse

Lire notre critique de D’à côté

Une interview précédente de Christian Rizzo

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