Cristiana Morganti : Une leçon d’humanité
Invitée par la Biennale de Lyon, l’Italienne de la compagnie de Pina Bausch a remis certaines choses en place.
« Voulez-vous que je parle ou que je danse ? », demande Cristiana Morganti, en toute ironie. Bonne question. En effet, en voyant et écoutant cette (ex-)icône du Tanztheater de Wuppertal, on se dit bien qu’une simple prestation chorégraphique serait ici une entreprise trop réductrice. Son solo Jessica et moi, sa seconde création post-Pina, n’a pas pour vocation de fournir un produit auquel on attribuerait une ou deux ou trois étoiles.
Cristiana
La vulnérabilité de l’artiste, de l’interprète, de la femme, de la jeune élève de ballet, de l’enfant même est ici mise en scène, dans le sens le plus pur du terme. L’intérêt et la beauté de ce solo se situent là exactement, dans le croisement de la force d’une bête de scène avec la fragilité d’une simple représentante de l’humanité. Et quand ça se double de la situation d’une Italienne vivant en Allemagne, le comique n’est jamais loin.
Mais ceux qui attendraient qu’après son spectacle-conférence Moving with Pina, Morganti passe alors aux révélations croustillantes au sujet de cette sur-femme de Pina, seront forcément déçus. Au contraire, elle s’empresse à démonter les idées reçues. Car certaines de plus tenaces d’entre elles arrivent par la voix enregistrée d’une autre femme, une journaliste.
Cristina (sic!)
« Cristina Morganti… » « Non, Cristiana ! » La journaliste n’a pas pris la peine de vérifier le prénom de son interlocutrice. Elle rechigne aussi à renoncer aux clichés, malgré les protestations de Morganti. Non, la compagnie ne partageait pas une grande maison. Non, Pina ne les obligeait pas à prendre tous leurs repas ensemble. Et cette interdiction faite aux femmes de s’épiler les jambes? C’est le contraire qui était vrai…
Pina
Forcément, on accroche par cette partie du spectacle, et les images que Morganti emprunte à ses personnages dans les pièces de Bausch. Jessica et moi propose pourtant tellement plus qu’un regard sur les années avec Pina. Il y a là un autoportrait, de la tendre enfance jusqu’à l’élaboration de ce solo. En même temps, Morganti ne veut rien enjoliver non plus. Après deux décennies passées au sein du Tanztheater Wuppertal, il lui a fallu une bonne dose de courage pour annoncer son départ. « Si Pina était encore en vie, aurais-je eu la force de le lui dire en face », s’interroge-t-elle.
Jessica
Mais alors, qui est Jessica ? « Quand j’étais en train de travailler sur ce solo, une amie d’enfance est venue me rappeler que, enfant unique, je m’inventais une partenaire de dialogue, que j’appelais Jessica Bayer. Je l’avais totalement oublié. » Face à cette Jessica retrouvée, Morganti nous parle de sa vie de danseuse et d’artiste, de la difficile relation à son corps, à ses parents et aux médecins. On obligea l’enfant à se mettre au ballet, pour que son corps soit plus proche d’un stéréotype de la beauté féminine.
Morganti n’oblige pas son public à assister à une auto-analyse. Celle-ci est déjà faite, et le solo en est l’essence. Son humour, son autodérision, sa sincérité et sa générosité en font un moment d’humanité des plus précieux, un théâtre populaire qui s’adresse à tout un chacun, qu’il ait déjà entendu parler de Pina Bausch ou pas.
Thomas Hahn
Spectacle présenté en première française au Théâtre de la Croix-Rousse, dans le cadre de la 17e Biennale de la Danse de Lyon
Du 16 au 24 mai au Théâtre des Abbesses, Paris
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