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« Coup de grâce » de Michel Kelemenis

Sujet dangereux par excellence, pour sa nouvelle création, Michel Kelemenis qui revient à la grande forme, s’est attaché à la nuit du 13 novembre 2015. Une réussite qui évite tous les écueils et témoigne que la danse, sur des propos si graves, aide à panser… 

Ils entrent presque précipitamment pour se serrer sur la piste de danse, dans un rond de lumière un peu oppressant. Danse où l’on se regarde, se drague, s’amuse. Danse que l’on retrouvera pour clôturer l’œuvre, laquelle se déroule, en somme, comme dans la parenthèse d’une danse qui englobe tout du drame. Mais pour le moment ils dansent. La petite extase personnelle glisse subrepticement au tutti, voilà une communauté, emportée mais cohérente qui sort et revient pour se presser sur une petite table de deux mètres carrés.

Il y a bien quelques gisants, formes inspirées de Jérôme Bosch ou de l’iconographie d’Adam et Eve, mais pas de morts avant vingt bonnes minutes, moment où l’on perçoit que le pire est arrivé sans que jamais il n’ait été souligné.

Durant la séquence suivante, s’étant emparé d’un projecteur, l’un des interprètes saisit d’un trait de lumière la danse de ses comparses. Un port de bras à la Forsythe, un bout de Naharin, et même, au détourné d’un regard, une Mort du Cygne ou un rien de Fokine. Toujours la crudité du spot qui interrompt irrémédiablement la danse et le retour au noir. Et l’oppression que dégage ce passage répond à la gravité d’une partition musicale d'Angelos Liaros-Copola qui, de sa pulsive techno initiale a viré quasiment au glas.

La pièce n’élude pas le drame, elle ne s’y résume cependant pas. Elle tient néanmoins et comme deux termes qui pour avoir partie liée ne peuvent pourtant se résoudre l’une à l’autre. La danse est de vie et de mort ; ils dansent jusqu’à la mort et c’est ainsi qu’ils vivent, la dialectique tient bon et la chorégraphie de Michel Kelemenis, dans une scénographie des plus sobres pour autant qu’efficace, d’un vaste demi-cercle de rideau de chaînes métaliques, tantôt élégant tantôt tragique, s’épargne les détours par le pathos pour demeurer dans la dépense vitale.

« L’amour de vie jusque dans la mort » aurait souligné Bataille qui parlait d’autre chose… Ce dégagement vers l’érotisme affleure, mais le chorégraphe ne va pas jusque-là, la danse étant du côté d’Eros dans sa lutte avec Thanatos. La gestuelle, beaucoup plus âpre et engagée que celle des opus précédents le suggère suffisamment, que dès lors la multiplication de ces « tableaux-vivants » pour évoquer des morts parait-il un peu excessif. Mais la danse revient, c’est toujours la première.

Voilà qui signe la plus véritable réussite de Coup de grâce : on peut ne pas y adhérer totalement, y garder une saine appréhension. Le chorégraphe s’est parfaitement gardé de toute affèterie, de tout chantage affectif, de toute complaisance, qu’il en laisse le spectateur libre d’apprécier ou de garder sa distance.

Non que la pièce soit dépourvue d’émotion, elle est au contraire puissante et noire -au sens propre et figuré-, esthétiquement soignée et dansée avec conviction, mais elle n’en rajoute ni dans le pathos ni dans l’anecdote et encore moins dans l’illustration. Elle se pose comme un objet de réflexion aucunement d’illustration ou de commémoration. Elle témoigne que la danse propose, y compris sur des sujets d’une telle complexité, un espace de réflexion qui pour passer par l’émotion ne s’y complet pas.

Philippe Verrièle

Vu à Château-Arnoux-Saint-Auban,  le 4 octobre 2019. Créé au Théâtre Durance, scène conventionnée d’intérêt national Art et création

Chorégraphe : Michel Kelemenis

Interprétation

Luc Bénard, Emilie Cornillot, Maxime Gomard, Aurore Indaburu, Cécile Robin-Prévallée, Anthony Roques, Pierre Théoleyre.

Tournées

16 & 17 oct. : Le Zef, Marseille
23 nov. : L’autre Scène, Vedène (84)
26 & 27 nov. :  Le Pavillon Noir, Aix-en-Provence (13)
29 & 30 nov. :  Châteauvallon, Ollioules (83)

 

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