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« Callas » de Reinhild Hoffmann par le Ballet du Grand Théâtre de Genêve

Le Tanztheater allemand a fait irruption dans la compagnie phare du paysage helvète. Une aventure très particulière.   

On oublie souvent que le Tanztheater allemand ne se résume pas à Pina Bausch. Ajoutez-y Susanne Linke, Hans Kresnik ou encore VA Wölfl, et vous n’avez toujours pas fait le tour des grands héritiers de Kurt Jooss. Il y a une autre personnalité qui a fortement marqué les années 1980 et 1990 de la danse outre-Rhin: Reinhild Hoffman, grande directrice, entre autres, du Tanztheater de Brême (1978-1986) et du Schauspielhaus de Bochum (1986-1995).

A Brême elle connut sa période fondatrice, et la plus spectaculaire en même temps. En pleine maturité artistique, elle y crée Callas en 1983. Et cette pièce a traversé le temps. En 2006, Hoffmann remonte la pièce en Italie, à Florence. En 2012, retour à la case départ: Elle remonte Callas à Brême. « Au total, cinq de mes pièces ont été remontées avec le soutien du gouvernement fédéral », explique-t-elle à Genève.  En effet, le Tanzplan, une initiative de politique culturelle en faveur de la danse a donné un vrai coup de pouce au genre, de 2005 à 2010. « Et les jeunes danseurs ont commencé à s’intéresser à cette forme, les reconstructions ayant été particulièrement soutenues. »

Aborder un nouveau langage

Philippe Cohen, directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève, poursuit un autre plan, celui d’ouvrir de nouveaux horizons aux interprètes de son ensemble: « Nourrir les danseurs », d’autant plus qu’il insiste: « On ne voit plus de pièces comme celle-ci. »  Voilà qui explique sa drôle d’idée de préparer l’avenir de la compagnie avec une œuvre créée il y plus de trente ans, et en plus dans un contexte historique particulier. Le Tanztheater n’a pu surgir que dans l’Allemagne de l’après-guerre. Ni ailleurs, ni à un autre moment.

Comment des danseurs d’aujourd’hui, de formation classique, peuvent-ils aborder ce langage où il s’agit, selon Hoffmann, « d’exprimer de grandes émotions par de petits gestes »? La chorégraphe s’est transformée en pédagogue. Elle a expliqué aux danseurs cette nécessité de l’époque de d’inventer une autre danse, de poursuivre le travail d’analyse du mouvement et la recherche sur le phrasé, commencées par Laban entre les guerres. Et bien sûr leur révolte contre la génération ayant rendu possible le nazisme, leur désir d’exprimer leur indignation par le style chorégraphique.

Au-delà du fait d’apporter un nouveau langage aux interprètes, Callas casse les hiérarchies d’une compagnie classique. Il y a certes un personnage principal sous forme de « diva assoluta », mais il est incarné en alternance, par bon nombre d’interprètes. Chacun(e) danse ici des solos et des tableaux de groupe.

Galerie photo© Grégory Batardon

Pédagogie

Pourtant, et Hoffmann l’a fortement souligné, pendant l’invention du Tanztheater moderne, il n’était pas question de jeter l’enfant avec le bain. Le refus de l’esprit du ballet romantique n’était pas un rejet de la technique. Pas question, à l’époque, de virer les pas classiques pour les remplacer par les mouvements du quotidien, et de se priver d’un moyen d’expression. « Ca nous a sauvés », dit Hoffmann. Sauvés d’une image d’amateurisme et d’un appauvrissement stylistique. C’est aussi la raison pour laquelle Hoffmann peut aujourd’hui trouver un terrain d’entente avec les danseurs de compagnies classiques, même s’il faut beaucoup parler et expliquer pour convaincre.

Hoffmann ne s’invente pas pédagogue. Elle a dirigé en personne la Folkwangschule d’Essen, cette école où elle avait étudié, comme Pina Bausch et tant d’autres. « Il était important pour nous qu’on y trouvait plusieurs disciplines artistiques sous le même toit, et surtout, le cinéma! Nous étions très intéressés par le cinéma », se souvient-elle.

Tanztheater, absolument

Callas est une pièce « datée, au sens positif du terme », selon Cohen. Elle rend compte de son époque et des enjeux du Tanztheater, qui  ne peuvent être les mêmes pour une pièce de théâtre de danse créée ailleurs, à une autre époque. C’est aussi la raison pour laquelle il est préférable de conserver le terme allemand en parlant de Callas. Mais le monde a bien changé, depuis 1983.

Ce qui reste intact, par rapport à Callas, est la séduction exercée par chacun des huit tableaux somptueux, imaginés avec la délicatesse d’une poésie absolue. Chacun est basé sur des trouvailles tout simplement bouleversantes. Sun un tapis de danse qui est ici un tapis de palais, le corps de ballet entre dans le réel autant qu’il rentre dans le rêve.

Galerie photo © Grégory Batardon

Chacun(e) poursuit son rêve

Nul hasard donc, si le premier tableau est joué sur « Je veux vivre dans ce rêve » (Gounod, Roméo et Juliette), dans un enregistrement de la Callas évidemment, comme les arias qui suivent (Verdi, Delibes, Gluck, Bizet). La pièce commence autour d’un couple de spectateurs retardataires. Dans une salle bondée - mais sur le plateau - ils vivent le cauchemar de ne pas trouver leur(s) place(s). Dans cette vision décalée, les autres spectateurs, tout de rouge vêtus, font penser à un chœur d’opéra, si bien qu’il peut aussi s’agir d’un rêve de la Callas...

Chaque image fait vivre la démesure de l’opéra. Les métaphores sont profondes et chaque énigme reste ouverte sur de multiples interprétations. Dans le tableau Dressage, les fouets crépitent et instaurent un régime de forte discipline, évoquant la mère de Callas à l’ambition démesurée. Mais la gloire conquise lui donne raison. Sur le plateau, les fouets vont se transformer en bouquets de fleurs... Plus tard, une table de banquet surgit de la façon a plus surprenante qui soit, par un énorme drap blanc accroché aux costumes des danseurs, drap sur lequel la Callas se promène, entre envol et trébuchements.

Chutes brutales

Callas est une évocation du rêve de gloire, de glamour et de bonheur, auquel la plupart des humains sont sensibles. Et bien sûr, cette pièce est un hommage à l’opéra. La Callas s’y balade entre les costumes de ses plus grands rôles, mais elle rencontre aussi le désir des hommes, et finalement la solitude. « En toutes choses, elle est allée au bout de ses rêves, pour connaître une chute brutale », résument Cohen et Hoffmann.

Il en va de même avec ce spectacle. Remonté en Allemagne en 2012, il a encore rencontré un bon succès. Mais le Tanztheater y fait partie des gènes artistiques. A Genève, le décalage avec les rythmes de la vie et du spectacle d’aujourd’hui sont éclatants. Chaque tableau se lance par un mirage de splendeur, pour finir en queue de poisson, dans une démonstration didactique. Au final, les images s’avèrent trop lourdes pour relancer la machine. S’y ajoute que les jeunes interprètes genevois doivent encore s’approprier les gestes et les émotions. Dans l’ensemble, Philippe Cohen atteint cependant son but : « Ne jamais être là où on nous attend. »

Thomas Hahn

Spectacle vu le 10 octobre 2017, Genève,Théâtre des Nations

Chorégraphie: Reinhild Hoffmann
Décors: Johannes Schütz
Costumes : Joachim Herzog
Lumières : Alexander Koppelmann
Assistante chorégraphie : Susan Barnett

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