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Bruno Bouché, artiste à la croisée des chemins

Sujet depuis 2003 du Ballet de l’Opéra de Paris, directeur et chorégraphe de la compagnie Incidence Chorégraphique, également chorégraphe en résidence à l'Académie de l'Opéra national de Paris, Bruno Bouché est l’interprète unique du Chagrin des Hommes, un solo de danse-théâtre créé pour lui par la metteur en scène Karine Niclas-Piquion. L’occasion pour le danseur, âgé de 38 ans, de faire le point sur un parcours riche en découvertes et de se projeter dans l’avenir.

Danser Canal Historique : Comment est né Le Chagrin des Hommes ?

Bruno Bouché : Par la lecture du livre ob.-scène d’Enora Rivière, publié par le Centre national de la Danse dans la collection Parcours d’artistes. Je me suis reconnu dans ce « Récit fictif d’une vie de danseur », comme l’indique le sous-titre, et j’ai eu envie de le donner à voir sur scène. Une façon pour moi de dresser un bilan de ma propre expérience de danseur, avant de passer à autre chose. Mais si pour moi, le désir est né de là, pour Karine il est parti d'ailleurs et c'est elle que nous avons suivi.

DCH : Quel a été son rôle ?

Bruno Bouché : Outre le fait d’être une amie de longue date, c’est une artiste complète, chanteuse de formation classique passée par la Maîtrise de Radio France, auteur - interprète et metteur en scène. Elle est fondatrice et auteur-interprète du groupe Novembre, dont elle met en scène les spectacles. Je lui ai demandé de m’aider à concrétiser ce désir, en la laissant libre de créer son univers. Elle a donc pensé, écrit, chorégraphié, mis en lumières et en scène la totalité de ce spectacle, en s’inspirant de ce qu’elle sait de moi. Son mari, François Piquion, en a écrit la musique, à la fois lyrique et très cinématographique. Ce solo parle de la condition de l’artiste - L’Albatros de Baudelaire est d’ailleurs cité - et des adieux.

DCH : Comment la pièce a-t-elle été montée ?

Bruno Bouché : C’est une coproduction entre les Arbres et les Brindilles (la compagnie de Karine) et Incidence Chorégraphique. Le théâtre du Chesnay, où s’est produit plusieurs fois ma
compagnie, dispose d’une petite salle dédiée au travail de création. J’ai proposé le projet
à Xavier Brouard, alors directeur du théâtre, qui a accepté. Nous avons bénéficié à deux
reprises en février d’une semaine de résidence sur place, et de plusieurs semaines de répétition dans les studios de l’Opéra de Paris.

DCH : Que représente pour vous cette création ?

Bruno Bouché : Elle intervient à un moment clé, où je suis en train passer de l’état de danseur à autre chose, auquel je réfléchis depuis très longtemps. Je ne suis pas quelqu’un qui tranche et qui décide de façon brutale, je préfère en général laisser la vie me guider. Mais j’arrive bientôt à une étape charnière de ma carrière, où se profile la fin de ma vie d’interprète à l’Opéra. Etre au service de grosses productions ou me plier aux désidérata de tel ou tel chorégraphe ne m’intéresse plus vraiment. Pour cette pièce, Karine m’a dirigé comme j’aurais aimé l’avoir toujours été, ce qui fut le cas aussi avec Pina Bausch.

DCH : Après vingt ans de carrière, comment percevez-vous votre corps ?

Bruno Bouché : Comme la plupart des danseurs, la souffrance m’a toujours accompagné. A l’âge de trente-quatre ans, j’ai été opéré à de la hanche et si j’ai pu ensuite danser à nouveau, je me réveille chaque matin en ayant mal partout. Pourtant, c’est toujours un grand plaisir d’être capable de se dépasser physiquement dans la danse. J’ai aussi découvert il y a quelques années d’autres façons de vivre son corps, par le yoga que je pratique régulièrement ou grâce à d’autres types de danse. En vieillissant, on gagne plus qu’on ne perd. Si je n’ai plus envie d’enchaîner les triples boucles piquées, je referais pourtant avec joie le « Sacre » de Pina, par exemple, car il demande une toute autre énergie que celle de la performance pure.

DCH : Qu’envisagez-vous pour l’avenir ?

Bruno Bouché : C’est une question à laquelle je réfléchis depuis longtemps. Même s’il m’est encore difficile de savoir la forme que prendra mon désir, j’aimerais qu’il s’incarne dans une compagnie, mais aussi un lieu où je pourrais programmer d’autres œuvres que les
miennes, inviter des chorégraphes à créer leurs propres ballets et à travailler avec une troupe.

DCH : Cela ressemble à la définition d’un Centre chorégraphique national, ou d’un grand
ballet ?....

Bruno Bouché : Il me semble que les modes de fonctionnement d’un CCN sont très différents. Il est vrai que leur définition est très hybride selon les cas, puisque le Ballet du Rhin est même
associé à une maison d’opéra. En tout cas, il est certain que le statut de chorégraphe
indépendant ne suffirait pas à me combler. J’ai besoin d’une troupe, et j’ai envie de ne pas défendre uniquement mon propre travail. C’est d’ailleurs dans cet esprit que j’ai créé
en 2 000 Incidence Chorégraphique.

DCH : Concernant votre compagnie, de quoi êtes vous le plus fier depuis 16 ans ?

Bruno Bouché : D’avoir tenu. D’être toujours là. De ce que nous avons partagé. Ce qui m’importe, ce sont les moyens, plus que la fin. Nous sommes ensemble pour faire des créations exigeantes, mais aussi pour partager un esprit de troupe, qui rend le travail en commun très agréable. Ceux qui y participent sont heureux de donner de l’énergie et d’en recevoir tout autant. Par ailleurs, je suis fier que Nicolas Paul ait fait chez nous sa première chorégraphie (Quatre figures dans une pièce), tout comme José Martinez (Délit de fuite, créé pour le San Francisco Ballet, ou My Favorita pour le Ballet d’Istanbul).

DCH : Quel était votre objectif, en la créant ?

Bruno Bouché : Je souhaitais constituer, au sein de l’Opéra un espace de liberté et de création qui laisse émerger de jeunes chorégraphes. Mais nous avons aussi fait entrer à notre répertoire
des pièces d’autres artistes, telle la Sonate d’Uwe Scholz. L’équilibre financier de la
compagnie reste toujours fragile (notre seul sponsor est pour le moment le galeriste Olivier Waltmann) et je partage désormais les taches administratives avec Sylvain Dreyfus. Pour la saison à venir, nous avons un programme de créations bien rempli, notamment la soirée « Ombre et Lumière », le 26 novembre au Théâtre impérial de Compiègne, avec  Roméo et Juliette ou le drame de la jeunesse de Yvon Demol, et quatre de mes pièces : Bless - ainsi soit-IlNous ne cesserons pas, Une voix dans la nuit et Hors de lui, les deux dernières interprétées par Agnès Letestu. Une tournée est ensuite prévue à Fontainebleau, Morge, Saint-Quentin et Le Chesnay.

Ce(ux) qui rende(nt) les gens heureux

 

DCH : Vous définiriez-vous comme un chorégraphe classique, néo-classique ou contemporain ?

Bruno Bouché : Cette problématique ne m’intéresse pas. En France, on aime les chapelles et le contemporain s’est logiquement construit en opposition avec la tradition classique, mais il me semble qu’il y a aujourd’hui quelque chose de nouveau à inventer, sans exclusion aucune. J’ai été formé à l’académisme mais j’aime Pina Bausch et Christian Rizzo !
C’est justement à nous, danseurs classiques, de réconcilier tout cela et d’y répondre de manière ouverte, sans être réactionnaire et sans que tout le monde ait peur de tout le monde. Je ne veux pas renier d’où je viens, d’autant que selon moi, le langage classique, dans son essence même, permet d’exprimer quantité d’émotions et de sentiments. Même si c’est à la base un style qui contraint les passions, il peut être le vecteur d’une extrême sensualité et ce paradoxe nourrit ma démarche artistique. Ce qui doit prédominer, c’est d’abord la question de la qualité, de l’émotion, et sur ce terrain, le langage classique a encore quelque chose à dire.

Propos recueillis par Isabelle Calabre

 

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