« Bestias » de Baro d'Evel Cirk Cie
Il y a une belle place pour la danse, suite à un travail avec Mal Pelo, dans la nouvelle pièce de Baro d'Evel
Voilà qui se construit tel un poème, où les mots tissent leur petite musique. Dans Bestias, sept humains, deux chevaux, cinq oiseaux et une centaine de dessins tissent un sous-texte qui évoque notre rapport à l'ancestral. Tout commence par un parcours sinueux, comme pour nous faire perdre nos repères par rapport à l'espace extérieur. Dans un couloir blanc orné de dessins noirs, on circule autour d'un rond. À l'intérieur, derrière la toile, tourne la silhouette d'un cheval, à contresens. La promenade ne va pas sans perturber nos repères temporels. Les dessins évoquent ceux de Lascaux, mais affichent, avec leurs traits faussement naïfs, une appartenance au monde contemporain. Une fois ce labyrinthe circulaire traversé, on ne sait donc plus très bien où on est, et c'est la meilleure condition pour se mettre à l'écoute des corps et des voix de Bestias.
Traversé par une piste à la manière d'une route, le rond est ici presque un lieu de passage, où on se croise sans crier gare, où les interprètes esquissent ensemble des pas croisés, où les perruches se nichent sur la tête d'une femme-clown qui prétend se faire narguer par elles, où le corbeau-pie adore les calins et le cheval s'allonge pour faire la sieste. Dans ce petit monde, les humains se rejoignent parfois pour afficher leur plaisir de la danse. Baro d'Evel a travaillé leurs chorégraphies avec Maria Munoz et Pep Ramis (Cie Mal Pelo). La connexion catalane n'est pas fortuite, Blaï Mateu Trias, cofondateur de la compagnie avec Camille Decourtye, étant d'origine barcelonaise. Et le travail fait avec eux est d'une formidable justesse. Seule Lali Ayguade, formée à P.A.R.T.S. et forte de dix ans dans la compagnie d'Akram Khan, est une enfant de la danse, et pourtant les ensembles chorégraphiques remuent les corps avec une formidable vitalité poétique.
Ce que les animaux veulent dire
Les spectacles avec animaux vivants ont pour effet de questionner, par la rencontre avec l'altérité, ce que l'humain peut mettre dans la balance pour définir sa propre mission parmi les bêtes. Mais ils peuvent se façonner de manières très différentes. Côté oiseaux, prenez Luc Petton qui met en évidence ce que nous avons à partager avec les animaux. Bestias donne à voir l'effet opposé, en soulignant nos différences. L'humain sait faire volte-face de façon abrupte et imprévisible, sans raison apparente. L'humain sait se mettre en unisson et s'amuser de lui-même. La relation est ici incluse dans un protocole assez précis dont on comprend qu'il se reproduira tous les soirs, à de petites variations près. Mais justement, voilà qui permet de jouer sur les relations de façon burlesque, en montrant, comme chez Luc Petton, à quel point les "bêtes" sont des personnes.
Hasbeen ou libres, les humains ?
Arrive Monsieur Loyal, déguisé en metteur en scène et grimé de façon tribale, pour adresser sa critique aux interprètes et au monde: "Être un humain, c'est hasbeen, il faut passer à autre chose". Justement, être circassien, c'est déjà quelque chose en plus. Pourtant Bestias a du mal à trouver le rythme nécessaire pour que l'intention burlesque se transforme en catalyseur. La pièce trouve ses meilleurs moments vers la fin, curieusement en absence des animaux. Le porteur met en l'air la voltigeuse par arbre interposé (à partir de son bas-ventre), elle y grimpe et bouge tel un chat. La densité poétique est enfin totale, ici autant que dans le duo dansé au sol qui conclut cette symphonie visuelle. Paradoxalement, en mettant en scène des êtres incarnant le rêve de l'homme de voler, Bestias fait d'autant mieux ressortir la liberté des humains. Il suffit d'en faire bon usage.
Thomas Hahn
Bestias de Baro d'Evel Cirk Cie
Conception: Camille Decourtye et Blaï Mateu Trias
Interprètes: Lali Ayguade, Noémie Bouissou, Camiille Decourtye, Taïs Mateu Decourtye, Blaï Mateu Trias, Julian Sicard Piero Steiner, Marti Soler Gimbernat
Dessins: Bonnefrite
La Villette, espace chapiteaux
jusqu'au 25 juillet 2015
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