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Ballet Preljocaj Junior : « Un Sacre, des printemps » d'Arthur Perole

Un Sacre, des printemps : La nouvelle promotion aixoise trouve les chemins de la guérilla chorégraphique.

Un Sacre du printemps ? Un sacre, des printemps ! Au pluriel, le printemps, alors que même Vivaldi se contenta d’un seul. Antonio Vivaldi, pas son homonyme Marcos, le DJ qui anima les sets après les représentations au Pavillon Noir. Des printemps, façon Arthur Perole, parce que le Ballet Preljocaj Junior compte douze danseurs dont chacun vit son printemps personnel. Pas de vieux mage ici, pas de sacrifice. Et pourtant… 

Perole déclare que pour lui, « aujourd’hui le but de ce rite serait de sauver nos prochains printemps pour assurer l’avenir de la terre ». Un message écolo, alors ? « Le rassemblement, la célébration plutôt que le sacrifice individuel »,selon lui. Mais une référence à la contestation n’est pas à exclure.  Arthur Perole met en scène la force de frappe d’une jeunesse unie, soudée et ultra-connectée. 

Dans leur diversité, corps à corps, ils s’attachent les uns aux autres et manifestent leur désir de sensations fortes. Vivre ou mourir ? Ils s’en fichent un peu, tant qu’ils restent unis. Ça donne d’impressionnants tableaux de groupe où ils jouent collectif, brandissant le poing serré. Et puis un camarade succombe, et en voilà deux qui se détachent pour le soigner pendant que les autres forment un chœur, comme dans une tragédie sophocléenne, s’exprimant non avec des mots mais par une pantomime contemporaine. 

Arthur Perole n’est pas forcément connu pour le discours militant, même si dans nos colonnes Agnès Izrine remarque au sujet de sa pièce Ballroom, créée en 2019, que celle-ci « cible bien le climat insurrectionnel du moment, qui a pour nom Hong Kong, Chili, Brésil et même gilets jaunes » [lire notre critique]. Et aujourd’hui, on reliera sans lui tordre le cou ce Sacre  aux rébellions de diverses associations écologistes et leurs affrontements avec les forces de l’ordre. Car la dimension théâtrale de ces printemps – et pourquoi pas aussi celui d’il y a 55 ans – est à lire dans les gestes et sur les visages de chacun, entre révolte, guerre urbaine, soif de vivre et fête techno. 

Et Stravinski se révèle ici être un bon an animateur de rave ! Les douze rebelles sont secoués par le Sacre dans la lecture détonante qu’en fait Teodor Currentzis. Où la terre semble ouvrir grand ses entrailles pour effrayer les humains. Le choix du jeune chef d’orchestre à l’esthétique sulfureuse, parfois affublé du qualificatif « punk », se révèle judicieuse sur deux fronts. Primo, le Gréco-Russe secoue et déchire la partition, créant un Sacre  comme hurlé. Une sensation conflictuelle s’en dégage en effet, et la partition devient un moteur insurrectionnel. Deuxio, cette version dialogue parfaitement avec les poussées électroniques signées Benoît Martin, dans un formidable pas de deux musical, de fait la vraie découverte de cette soirée. 

Par ce travail avec Arthur Perole entre manif’ et rave, dans l’agitation de l’insoumission où se mélangent le soulèvement et la transe techno, les douze interprètes de la promotion actuelle du Ballet Preljocaj Junior qui viennent des conservatoires ou écoles de danse de Madrid, Lisbonne, Rouen, de l’Opéra de Paris, de Rudra à Lausanne, d’Oslo et d’ailleurs, n’ignorent plus rien de l’écriture chorégraphique du moment avec ses fulgurances répétitives et son apparente spontanéité. Et en ce sens, le rite chorégraphique provençal, conçu pour favoriser l’insertion professionnelle de jeunes danseurs, joue pleinement son rôle. Après les printemps et leur Sacre, des lendemains qui chantent… 

Thomas Hahn

Vu le 13 avril 2023, Pavillon Noir, CCN Aix-en-Provence 

 

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